Quand Gilles Müller faisait tomber Andre Agassi

Alors que l’imaginaire collectif associe toujours Gilles Müller à sa victoire homérique contre Rafael Nadal à Wimbledon, la légende du tennis luxembourgeois aura, des années plus tôt, réussi un autre authentique exploit : celui de faire tomber Andre Agassi en terres américaines, lors du Legg Mason Classic, à Washington D.C. Une victoire autoritaire en deux sets, contre la tête de série numéro 1, que l’on revit ici. Retour sur une formidable prouesse.

59 à 0. Non, il ne s’agit pas du score du dernier match de rugby entre la Nouvelle-Zélande et la Roumanie, mais de la différence en nombre de titres entre Andre Agassi, tête de série numéro 1 du Legg Mason Classic à Washington et son adversaire en demi-finale, un certain Gilles Müller. Autre écart monstrueux entre les deux hommes ? La coqueluche du tennis américain a alors empoché 29 millions de dollars de prizepool de plus que le jeune luxembourgeois. Enfin, alors que Müller n’est pas encore dans le top 100, Andre Agassi, lui, trône à la sixième place du classement mondial. 

Malgré ces différences somme toute abyssales, ce serait faire injure à Müller de le définir comme sorti de nulle part. Le tennisman qui s’entraîne alors en Espagne peut déjà se targuer de plusieurs réussites. En effet, ce sportif longiligne peut se vanter d’être aux côtés de Roger Federer, Andy Roddick ou encore Richard Gasquet, dans la catégorie des anciens numéros 1 mondiaux juniors. Et, s’il ne compte que 25 matchs en ATP au moment d’affronter Agassi, Müller a déjà connu la victoire. En challenger, à Naples et Cordoue, celui qui atteindra la 21e place mondiale a déjà gagné ses premiers trophées, ainsi qu’une finale perdue à Salinas, en Équateur. Et sur le tour ATP, il a remporté sa première victoire à l’Auckland Open avec un succès contre Nicolás Lapentti. Assez pour donner un certain niveau de confiance à l’athlète alors âgé de 21 ans, qui arrive au Legg Mason Classic avec confiance et insouciance pour ce tournoi. Au premier tour, Müller l’emporte contre Sjeng Shalken, proche du top 10, sur abandon. De bon augure avant le match suivant contre l’Américain Jan-Michael Charles Gambill. Une lutte – une vraie – qui s’achève par un succès étriqué en trois sets 7-5, 5-7, 6-2. Bis repetita lors des quarts de finale, lorsque Gilles Müller terrasse Michel Kratochvil, là encore au meilleur des trois manches 7-5, 6-7, 6-2. Le plein de confiance fait, le tennisman s’apprête à jouer son premier match dans le dernier carré d’un tournoi ATP et doit pour cela affronter un certain Andre Agassi, tête de série numéro 1, numéro 6 mondial et véritable coqueluche d’un public américain totalement acquis à sa cause. Pour les supporters, les observateurs et tant d’autres, cela ne fait aucun doute : ce match doit être une formalité pour Agassi. Ce qui n’est pas du goût de Müller qui, très vite, montre bien qu’il n’est pas là pour faire de la figuration.

Impérial, Müller profite de sa première occasion

Dès le début de match, la donne est claire : l’Américain et le Luxembourgeois sont tous les deux impériaux sur leurs mises en jeu. Les deux tennismen remportent leur service sans grande difficulté, parfaitement aidés par des premières balles particulièrement redoutables. Une physionomie qui se poursuit jusqu’à 3-2 en faveur de Müller, et le service d’Agassi. Une légère défaillance de la tête de série numéro 1 du tournoi suffit à l’athlète du Grand-Duché qui se saisit de sa première occasion pour faire le break. 

Un avantage conséquent, mais vite rattrapé par l’Américain, porté par un public de plus en plus conscient que cette confrontation ne sera pas une partie aisée. Sur un formidable retour d’amorti, Agassi débreak pour recoller à 4-5. Alors que l’impression générale tend vers une reprise de contrôle du favori, l’outsider répond tout de suite. Encore une fois, il réussit à mettre son adversaire en difficulté sur son service et se procure une balle de set. Sur un formidable passing, Müller breake encore et s’adjuge donc la première manche.

Impassible, Müller crée l’exploit

Une surprise, déjà, mais absolument méritée au vu d’un premier set de bon acabit de la part du 121e mondial qui rend coup pour coup et joue totalement libéré face à un adversaire en nette souffrance. Malgré ses difficultés, Andre Agassi, à domicile – rappelons-le encore une fois – fait honneur à son statut d’immense champion en accélérant drastiquement le rythme. Lors d’un premier jeu acharné, Müller s’arrache, sauve cinq balles de break, avant de finalement céder sur la sixième tentative. Sous les rugissements du public, la coqueluche prend d’emblée le service de son adversaire. On aurait alors pu croire que le Luxembourgeois allait s’effondrer. Il n’en est rien, puisque la sérénité demeure totale, à l’image de son jet de raquette bon enfant sur un smash de son adversaire à 0-1. Malgré cette tranquillité, le constat demeure néanmoins le même : Müller souffre. Vite mené 2-0, le natif du Grand-Duché doit encore s’arracher pour éviter le double break alors qu’Agassi a clairement monté d’un ton. Revenu à 1-2, les jeux s’enchaînent et le gaucher doit, une fois de plus, élever le niveau pour ne pas perdre le fil dans cette seconde manche. À 2-4, le grand frappeur fait preuve d’un talent certain pour sauver trois balles de break : la première, d’un lob parfaitement ajusté. La deuxième sur un enchaînement service gagnant qui laisse son adversaire muet, avant de claquer un ace sur la troisième. Bis repetita alors que Müller est mené 3-5 et qu’Agassi se procure une balle de set : une superbe volée permet à l’outsider d’empêcher son adversaire de revenir à une manche partout. Et, à force d’abnégation, de lutte constante et d’une solidité pratiquement inébranlable dans les moments chauds, le tennisman luxembourgeois réussit l’exploit de recoller, sur une balle de break tout simplement monstrueuse pour afficher un 5-5. Le public américain, déçu, croit alors filer droit vers un tie-break : il n’en est rien. Particulièrement agressif, Gilles Müller passe d’abord devant 6-5, avant de voir Agassi mener 15-0 au service. Une erreur grossière d’Agassi, un monstrueux revers long de ligne, puis une nouvelle faute directe de l’Américain, et voilà l’athlète luxembourgeois devant deux balles de match. Avec une superbe accélération et un coup droit splendide qui se loge dans le coin droit du court, l’exploit est réalisé ! 6-4, 7-5, et Müller réalise la performance du tournoi, en sortant la tête de série numéro 1 pour s’offrir une place en finale.

Face à Lleyton Hewitt – et encore une fois en position d’outsider – le longiligne joueur ne réussira pas une nouvelle prouesse. Malgré un débreak à 3-5 dans le second set, après avoir perdu la première manche 3-6, Müller ne réussira pas à accrocher un troisième set, probablement rattrapé par l’enjeu, dans un dernier jeu qui le verra enchaîner les fautes directes. Pas de quoi remettre en cause un formidable parcours et, évidemment, un succès inoubliable qui permet de mettre le Luxembourg sur la carte du tennis mondial. La première immense performance de Gilles Müller qui, pendant plus d’une décennie, fera briller le Grand-Duché à l’international, avant de réussir un autre authentique exploit en 2017, contre un certain Rafael Nadal à Wimbledon.

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