On a swingué sur la Lune

Il y a maintenant plus de cinquante ans, Alan B. Shepard, astronaute emblématique américain, atterrit sur la Lune. Déjà un exploit, en soi. Mais le natif de Derry, New Hampshire, alors âgé de 47 ans, va réussir à encore plus assurer sa place pour la postérité. Comment ? En swinguant trois fois sur la Lune. Rien que ça.

Le 6 février 1971 n’est pas une date mémorable dans l’histoire de l’être humain. À dire vrai, peu de choses notables se passent sur la planète Terre ce jour-là, hormis en Italie, où un tremblement de terre de magnitude 4,5 coûte la vie à 31 personnes dans la ville de Tuscania. En Australie, la campagne contre la persécution morale, premier plaidoyer pour les droits LGBT, est créée. Et en Suisse, un référendum garantit aux femmes le droit de vote, avec 65,7 % de votes pour. 

On ne peut donc pas parler de moments extraordinaires ou inoubliables. Sauf que, depuis quelques années, l’humanité ne se limite plus à la Terre, et se permet quelques folles aventures sur d’autres planètes. Et justement, en ce 6 février 1971, Alan B. Shepard va s’offrir un des exploits les plus retentissants de l’histoire de l’être humain : swinguer sur la Lune.

Alan Shepard est un nom bien connu dans l’histoire de l’exploration spatiale américaine. Il restera d’ailleurs à jamais le premier Américain à être envoyé dans l’espace en 1961, lors d’une mission suborbitale à bord du vaisseau Mercury. L’astronaute est alors choisi pour commander la mission Apollo 14, qui était la huitième mission habitée du programme Apollo de la Nasa. Le 5 février 1971, Shepard, ainsi que ses deux coéquipiers Edgar Mitchell et Stuart Roosa, ont décollé de la base de lancement de cap Canaveral en Floride à bord du vaisseau spatial Apollo 14. Ils ont passé plusieurs jours en orbite autour de la Lune, avant de descendre sur sa surface le 5 février. 

Avec une durée de séjour somme toute limitée sur le satellite, et un grand nombre d’expérimentations à effectuer en ce court laps de temps, difficile de flâner. Frustrant pour Shepard, passionné de golf depuis toujours et qui a, dans l’anonymat le plus complet, préparé un joli coup. Bien décidé à entrer dans l’histoire, l’astronaute, quelques mois auparavant, a sollicité Jack Harden, joueur professionnel du River Oaks Country Club au Texas, pour lui construire un club modifié. Sa création, une tête de fer Wilson Staff Dynapower 6, a été cachée dans la combinaison spatiale de Shepard, avec quelques balles elles aussi dissimulées dans une chaussette.

Une première victoire sur le plan technique, mais pas forcément suffisante, puisqu’il reste encore à convaincre ses supérieurs de la faisabilité et de la pertinence d’un tel gimmick. Car, avec un coût total équivalent à 246 milliards de dollars pour cette mission, la moindre minute doit, logiquement selon la Nasa, être parfaitement exploitée. Et l’idée même de batifoler en se fendant d’un swing était parfaitement inacceptable pour l’instance scientifique. Dans une interview accordée en 1998, Shepard a déclaré qu’il avait présenté son idée au directeur qui lui avait évidemment répondu : « Absolument pas. » L’astronaute avait beau lui dire qu’un club et deux balles de golf ne coûteraient rien aux contribuables, et qu’il ne le ferait que si toute la mission était un succès complet, le dirigeant refusait de céder. Pas suffisant pour freiner les ardeurs de Shepard. Selon la rumeur, seul le directeur de la mission, Robert Gilruth, aurait été mis au courant des plans de l’astronaute, évitant de les partager avec quiconque. Après avoir atterri, le pilote américain, club caché dans sa combinaison, voit son heure arriver.

Après neuf heures de marche à la surface et plusieurs expériences scientifiques, Shepard retournait au module lunaire quand il a saisi sa chance. Attachant la tête de club modifiée à un outil conçu pour ramasser des échantillons de roche lunaire, le commandant s’est préparé à affronter l’un des plus grands bunkers de l’Univers – d’une seule main.

« Houston… vous reconnaîtrez peut-être ce que j’ai dans la main comme poignée pour le retour d’échantillon d’urgence. Il se trouve qu’il y a un véritable fer à six en dessous », a déclaré Shepard, s’adressant directement à la caméra.

« Dans ma main gauche, j’ai une petite boule blanche qui est familière à des millions d’Américains… Malheureusement, la combinaison est si raide, je ne peux pas faire ça à deux mains, mais je vais essayer un petit coup de bunker ici. »

Après deux tentatives bâclées, le premier tir de Shepard s’est enfoncé dans un cratère à proximité, à la grande joie du Capsule Communicator, Fred Haise, à Houston.

« Cela ressemblait à un slice, Alan », a lancé Haise, mais le premier golfeur sur la Lune avait encore une balle à jouer. Soufflant des pétales de poussière lunaire, le deuxième coup a été frappé avec une connexion plus douce, et Shepard a aimé ce qu’il a vu.

« Des miles et des miles et des miles », remarqua l’astronaute jubilant alors que la balle s’éloignait de sa vue, avalée par la noirceur infinie de l’espace. Inutile de dire que la technologie de suivi des tirs n’était pas disponible, et Shepard est donc retourné sur Terre sans savoir où se trouvait son deuxième tir. Nul besoin de la retrouver tant, par ce geste entré dans la postérité, l’astronaute, décédé en 1998, a propulsé la Nasa et le golf dans une sphère encore plus formidable. 

Le 7 février 1971, Alan B. Shepard et son équipage repartent vers la Terre avec, dans leur vaisseau, plus de quarante kilos de pierres lunaires. Un cargo qui pèse évidemment lourd, mais qui, contre toute attente, s’est aussi délesté d’un petit poids. Celui de deux balles de golf, précisément.

Non, la balle de Shepard n’a pas parcouru 200 mètres

« Des miles et des miles et des miles ». Voici la phrase légendaire de Shepard, à la suite de son coup historique. Pourtant, ce dernier aurait exagéré, selon une analyse de la United States Golf Association (USGA). Sur la base des données de l’équipage et d’une mission lunaire moderne, le groupe a découvert que la première balle aurait parcouru 24 mètres et la seconde environ 40 mètres. Mais, avec une tenue de cosmonaute, et un « club » tout sauf officiel, conjugué à une balle qui aurait volé plus de trente secondes dans les airs du fait de la gravité sur la Lune, le coup n’en restera pas moins beau.

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