Tara Booker : « La meilleure façon d’entraîner vos joueurs est de les connaître »

Tara Booker, 33 ans, vivait sa première saison en tant que coach sur le banc des Kordall Steelers. Une femme qui entraîne une équipe masculine, un fait hélas encore assez rare pour être souligné et mis en avant. Résultat ? Le club a tout cassé sur son passage, a terminé premier, et monte en Luxembourg Basketball League. Rencontre avec l’Américaine au parcours riche, qui sera toujours sur le banc de Kordall la saison prochaine, en première division.

Quand et comment êtes-vous arrivée au Luxembourg ?

Je suis arrivée au Luxembourg en janvier 2014. Avant, je jouais au basket au niveau universitaire à l’université George Washington, à Washington DC, mais après quatre opérations au genou, j’ai abandonné l’espoir de devenir professionnelle. Je me suis alors concentrée sur les études, j’ai obtenu ma maîtrise en gestion organisationnelle, j’ai commencé à travailler pour une entreprise de consulting à DC et… j’étais absolument désespérée ! Je faisais un travail d’analyse de données, ce qui signifie essentiellement que j’étais assise devant un ordinateur pendant huit heures par jour, en mettant une tonne de chiffres dans une feuille de calcul Excel. En décembre 2013, j’ai reçu un appel téléphonique d’un agent me disant qu’un entraîneur au Luxembourg avait en quelque sorte mis la main sur des vidéos de mes matchs à l’université et s’intéressait à moi en tant que joueuse professionnelle. Donc, après ne pas avoir touché un ballon de basket pendant environ un an, j’ai fait mes valises et je me suis dirigée vers le Luxembourg, ravie de m’éloigner de l’ennui de mon travail et de pouvoir continuer à pratiquer le sport que j’aimais tant.

Avant cela, quel a été votre parcours dans le basket aux États-Unis, puis en Europe ?

J’ai commencé à jouer au basket vers l’âge de 8 ans. Mon père était basketteur et entraîneur de mon frère aîné. Donc, pendant toute ma vie, le basketball a toujours été présent. Je me souviens avoir vu mon père jouer avec ses amis dans le jardin ou entraîner mon frère et ses coéquipiers quand j’étais plus jeune. Une fois que je me suis mise à m’intéresser au basketball, mon père a également commencé à m’entraîner. J’ai pratiqué un tas de sports quand j’étais enfant, volleyball, football, athlétisme, mais quand j’ai eu 13 ans, je me souviens que mon père m’a assise et m’a dit que j’avais beaucoup de potentiel en tant qu’athlète dans n’importe quel sport, mais que si je voulais un quelconque succès à l’avenir dans ce domaine, je devais me concentrer sur un sport et y consacrer tout mon temps. J’ai choisi le basket, et à partir de ce moment-là, il m’a emmenée au gymnase six jours par semaine pour faire 1 000 tirs, 800 tirs sautés, 200 lancers francs. Il a joué le rôle le plus important dans l’obtention de ma bourse pour jouer au basket à l’université et m’a permis de tomber amoureuse de ce sport. Malheureusement, lors de ma dernière année à l’école, et quatre opérations du genou plus tard, mes rêves de poursuivre le basketball après l’université diminuaient lentement. Comme je l’ai dit plus tôt, j’avais un dernier coup à jouer pour devenir professionnelle et je l’ai tenté. Après une bonne première année au Luxembourg, j’ai continué à jouer au basket à Melbourne en Australie, puis à Lisbonne au Portugal, avant de décider de revenir au Luxembourg.

Quand êtes-vous passée de joueuse à entraîneure ?

En 2017, je jouais à Hesperange. Dans la seconde moitié de la saison, après que notre entraîneur a décidé de quitter le club, j’ai pris la relève en tant que joueuse/entraîneure par intérim pour le reste de la saison. J’avais prévu de jouer encore quelques années, mais c’était ma première expérience d’entraîneure à ce niveau et j’ai vraiment apprécié. Une fois la saison terminée, la direction du club m’a demandé si je serais intéressée pour continuer à entraîner des joueurs la saison suivante. Je me suis retrouvée joueuse/entraîneure pour les deux saisons suivantes à Hesperange. J’ai décidé de quitter Hesperange pour entraîner l’équipe féminine de Walferdange lors de la saison 2020-2021. À la fin de cet exercice, je suis tombée enceinte de ma fille, puis j’ai pris congé l’année suivante.

Vous êtes arrivée sur le banc de Kordall l’été dernier. Qu’est-ce qui vous a poussée à accepter le poste ?

Après avoir eu ma fille et m’être arrêtée pendant une saison entière, j’ai eu quelques offres, mais qui ne m’excitaient pas beaucoup. Ma fille n’avait que 3 mois à l’époque et je savais que si je devais retourner entraîner alors qu’elle était encore si jeune, ce devait être dans un club auquel je croyais vraiment et qui me passionnait. Mon mari, qui est également entraîneur, cherchait lui aussi une équipe. Je crois que son nom est sorti pour entraîner Kordall, mais il venait de signer à Contern. Alors en apprenant qu’il n’était pas disponible, quelqu’un a dit : « Eh bien, qu’en est-il de sa femme ? » Je n’avais encore jamais entraîné d’équipe masculine auparavant et l’idée m’a enthousiasmée. J’avais vu Kordall plusieurs fois au fil des années et j’avais repéré certains joueurs et analysé le jeu de l’équipe. J’avais vu le potentiel au sein de l’effectif, j’ai aimé le soutien que j’ai reçu de la direction et, après avoir rencontré les joueurs, j’ai su qu’ils étaient tous partants et déterminés à atteindre leurs objectifs pour la saison à venir.

Une femme qui entraîne des hommes, c’est très rare, surtout à ce niveau. Que retenez-vous de votre expérience ? Cela change-t-il quelque chose pour vous d’être une femme et d’entraîner des hommes ?

Comme je l’ai déjà dit, j’ai été dans le basket toute ma vie, masculin et féminin. Bien que je n’aie jamais été entraîneure auparavant, je comprends que le sport, la tactique, la stratégie, la vitesse, les capacités athlétiques peuvent être complètement différents – mais les bases et les fondamentaux sont toujours les mêmes. Après avoir pris un an de recul et être revenue dans un nouvel environnement, il m’a fallu un peu de temps pour entrer dans le vif du sujet. J’aime me considérer comme une « étudiante du jeu ». J’essaie toujours d’apprendre, de grandir et de faire progresser ma stratégie d’entraînement et ma connaissance du jeu, et cette saison m’a énormément aidée. Il est rare de voir des femmes entraîner des équipes masculines, et je trouve cela vraiment dommage. Certains des meilleurs stratèges du basketball que je connais sont des femmes ! Mais simplement à cause de leur sexe, elles sont considérées comme non qualifiées pour entraîner des hommes et on ne leur donne jamais cette possibilité. Chaque entraîneur a la capacité d’apporter quelque chose de nouveau à une équipe et aux joueurs – styles différents, compétences différentes, communication différente, expériences différentes – la différence entre les sexes ne devrait pas jouer un rôle à cet égard. Avoir des entraîneurs diversifiés ne fait que favoriser la carrière de nos athlètes et apporte quelque chose. Décider d’entraîner une équipe masculine était très excitant pour moi parce que je sentais que c’était une occasion de montrer que c’était possible. J’aime l’idée que le Kordall Basketball Club m’ait offert cette possibilité, et j’aime que les médias mettent en lumière la rareté de trouver une femme entraînant des hommes, mais il est toujours triste que l’on soit obligé de le souligner et de le mettre en avant. Le prochain objectif est de rendre cette notion moins rare – de trouver courant de voir plus de femmes sur les bancs de touche. On doit arriver à embaucher un entraîneur en raison de sa capacité d’entraînement réelle et ne pas laisser la question du genre influencer cette décision.

Quelle est votre vision du basketball ? Quel type de coach êtes-vous ? Plutôt proche de vos joueurs ou pas du tout ?

J’aime dire que j’ai un style de basket qui s’adapte. Chaque année, une équipe aura différents joueurs avec des forces et des capacités différentes. Je veux capitaliser sur nos forces et jouer dans ce style. Je pense que les entraîneurs avec un type de vision ou de style de basketball ne tireront jamais le meilleur parti de leurs joueurs. Ce en quoi je crois de tout mon cœur en tant que coach peut se résumer dans la citation : « Contrôlez les choses que vous pouvez contrôler. » Cela semble si simple, mais c’est tellement important. Je ne peux pas demander à un joueur d’entrer à chaque match et de me rapporter 15 points et 8 rebonds. Parfois, la balle ne rebondit pas dans notre direction, parfois notre tir ne rentre pas. Vous ne pouvez pas contrôler cela. Ce que vous pouvez toujours contrôler en tant que joueur, c’est votre effort, votre attitude, votre énergie. Vous pouvez contrôler à quel point vous vous battez. Vous pouvez maîtriser le plongeon pour sauver une balle perdue. Vous pouvez contrôler le fait de vous présenter à l’entraînement et de mettre tout en œuvre afin de maximiser votre potentiel de réussite au moment du match. Mon objectif en tant qu’entraîneure est d’aider mes joueurs à atteindre leurs objectifs individuels ainsi que collectifs, en tant qu’équipe. Cela ne signifie pas toujours que c’est la voie la plus évidente. Coach est un terme générique qui englobe tant d’autres rôles que vous devez jouer. Il faut être enseignant, psychologue, kiné, mentor, encadrant, ami. Les meilleurs entraîneurs sont capables de faire la différence entre le joueur et l’individu qui a besoin de telle ou telle chose précise à un moment donné. La meilleure façon d’entraîner vos joueurs est de les connaître. Comment chaque joueur répond-il aux critiques ? Réagissent-ils aux cris ou réagissent-ils mieux lorsqu’on leur parle en tête-à-tête ? Comment communiquent-ils ? Parler, écouter et comprendre. Que se passe-t-il dans leur vie en dehors du basket ? Sont-ils en pleine période d’examens ? Leur parent est-il malade ? Existe-t-il d’autres facteurs de stress en dehors du sport ? Tous ces facteurs jouent un rôle dans la performance d’un individu sur le terrain.

Vous réalisez une saison exceptionnelle, vous terminez premiers et vous montez en Luxembourg Basketball League, alors que la saison précédente était vraiment très compliquée… Comment expliquez-vous ce succès ? Quelles sont les clés de cette superbe saison ?

Je pense que notre succès cette saison repose sur l’objectif commun de notre équipe d’atteindre la première division. Je suis très attachée au fait de fixer des objectifs et de me concentrer sur les étapes pour les atteindre. Je crois que mon équipe a adhéré à l’idée de notre succès potentiel et s’est consacrée à y parvenir. 99 % de mes entraînements cette saison, j’avais au moins 10 joueurs. 95 % d’entre eux, j’en avais au moins douze ! Avoir des taux de présence aussi élevés pour le basket luxembourgeois montre à quel point mes joueurs étaient engagés et concentrés sur notre réussite. Le fait que je puisse me présenter à chaque entraînement avec un groupe complet de joueurs motivés, prêts à apprendre et à se focaliser sur notre stratégie pour le prochain match nous a donné un énorme avantage cette saison. Pouvoir toujours jouer à 5 contre 5 et permettre à notre équipe de développer une vraie alchimie ensemble a été un facteur énorme.

Votre contrat a été prolongé, vous continuez l’aventure. Quels seront les objectifs du club la saison prochaine ?

Mon objectif en tant qu’entraîneure à ce niveau est toujours de gagner et de faire en sorte que mes joueurs se surpassent en tant qu’individus et en tant qu’équipe. Je sais que la transition de la deuxième division à la Luxembourg Basketball League s’accompagnera de difficultés, d’un besoin de grandir et de phases d’apprentissage, mais je crois que si notre équipe continue de montrer ce qu’elle sait faire et fait toujours les efforts pour atteindre ses objectifs comme elle l’a fait cette saison, elle peut être compétitive.

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