Les pionnières : femmes de pouvoir et fortes têtes

Deux d’entre elles font partie des 9 % de femmes présidentes sur les 53 fédérations sportives luxembourgeoises. La troisième est la seule présidente d’un club de football de BGL Ligue et dirige également la Ligue. Norma Zambon, présidente de la Fédération luxembourgeoise de volley et chef du service des sports d’Esch-sur-Alzette, Stéphanie Empain, présidente de la Fédération luxembourgeoise d’athlétisme et députée Déi Gréng, et Karine Reuter, présidente du Racing Union et de la Ligue de football, partagent leurs expériences de femmes dirigeantes dans le sport luxembourgeois.

Elles sont des phares, des figures de proue, des pionnières, encore trop peu nombreuses. Une toute petite minorité quand on observe les chiffres. Elles ont d’importantes responsabilités dans le monde du sport luxembourgeois et sont rares dans le domaine. Et pourtant, lorsqu’on leur pose la question, elles ne semblent pas avoir été particulièrement freinées dans leur ascension par le fait d’être des femmes. « Il n’y a pas que des amitiés dans le foot, mais je pense que les remarques que l’on peut me faire ont plus à voir avec ma personnalité qu’avec le fait que je suis une femme. Si j’ai quelque chose à dire, je le dis, que ce soit à un mec ou une femme, d’ailleurs. Je ne fais pas de distinction », commence Karine Reuter, présidente du Racing Union depuis mars 2016 et de la Ligue de football depuis 2020.

On insiste quand même : n’est-il pas plus dur de s’imposer dans le football quand on est une femme ? « Personnellement, je n’ai pas cette impression, je ne pense pas. En tout cas, je ne me suis jamais posé cette question. Je viens de l’immobilier, donc je suis habituée à un univers plutôt masculin. Je n’ai pas de problème avec ça. Si un mec a, lui, des soucis avec ça, moi je m’en fous. » Cela a le mérite d’être clair. Même si elle ajoute : « Bien sûr qu’il y a de la fierté… 16 clubs avec une femme à leur tête au milieu d’hommes, c’est quelque chose. » Lorsque l’on demande à Stéphanie Empain, 39 ans, présidente de la Fédération luxembourgeoise d’athlétisme, députée Déi Gréng et présidente de la Commission de la sécurité intérieure et de la défense, ce que cela lui inspire de prendre la tête d’une grosse fédération sportive en tant que femme, la réponse est tout aussi… tonique et franche : « Moi, honnêtement, ça me fait quelque chose qu’on en soit encore à poser ces questions. Dans ma vie, jusque-là, je n’ai pas eu l’impression de rencontrer des barrières spécifiquement parce que j’étais une femme. J’en connais d’autres qui ont ressenti ça… De mon côté, je n’ai jamais eu la sensation d’être freinée de quelque manière que ce soit. Mais je ne veux pas faire de mon cas une généralité. » Enfin, Norma Zambon, présidente de la Fédération luxembourgeoise de volley et chef du Service des sports d’Esch-sur-Alzette, va dans le même sens que ses deux consœurs : « Dans ma fédération, en interne, je n’ai jamais eu de souci à ce niveau-là. On discute tous ensemble et chacun dit ce qu’il pense. » Mais cette dernière précise : « Je pense aussi que si Karine Reuter, Stéphanie Empain et moi-même avons eu l’impression de moins, ou peu, être gênées dans notre progression en tant que femmes, c’est aussi dû à nos caractères forts. On sait toutes les trois ce que l’on veut et on n’abandonne pas. Il faut avancer, toujours. »

« Certains hommes n’acceptent toujours pas que la décision vienne d’une femme »

Malgré cette énergie, cet élan, cette détermination qui caractérisent les trois femmes, tout n’est pas rose, et lorsque l’on pousse la conversation plus loin, la réalité de la condition féminine dans les hautes sphères du sport revient vite au galop. Et elles mettent des mots sans équivoque dessus : « Cela commence avec la question de certains journalistes, des interrogations du type “Mais comment faites-vous avec deux enfants ?” Je réponds : “Eh bien il y a des papas qui le font aussi. Est-ce que vous posez la même question aux jeunes papas ?” Sur le fond, je remarque surtout comment fonctionnent nos structures, nos fédérations, et c’est vrai qu’on est parfois sur 98 % d’hommes. Quand ils vont recruter, ils prendront des hommes, quand ils vont faire du networking, c’est entre hommes. Il y a des fédérations 100 % masculines », constate Stéphanie Empain. Norma Zambon se souvient aussi de ses débuts : « Les attitudes que l’on peut qualifier de sexistes sont en fait arrivées dès que j’ai accepté de prendre la tête de la Fédération de volley. On m’a par exemple dit “Tu es sûre que tu vas y arriver, toute seule dans ce monde d’hommes ?”. Mais il faut bien commencer justement ! Par contre, je le dis ouvertement et très clairement : il faut vraiment bosser deux fois plus quand on est une femme pour prouver sa légitimité. J’ai aussi parfois l’impression que certains hommes n’acceptent toujours pas que la décision vienne d’une femme. » On pose alors une question rhétorique, faussement naïve, un peu par provocation pour anticiper la réponse : trouve-t-on assez de femmes à des postes à responsabilités dans le sport luxembourgeois ? « Ben non », réagit du tac au tac Stéphanie Empain. « Il y en aurait assez si on était à 50/50. On représente 50 % de la population et on n’est pas à 50/50 sur les postes à responsabilités, donc forcément, ce n’est pas assez. Et les choses doivent changer. » La présidente du Racing, Karine Reuter, a un point de vue un peu différent sur cette question : « Moi je pense qu’il faut surtout avoir les bonnes personnes à ces postes, que ce soient des femmes ou des hommes. Je m’en fous royalement du sexe. Il faut des gens qui veulent faire avancer les choses et qui souhaitent les faire bien. Qu’elles soient noires, blanches, grosses, petites, grandes, peu importe ! Ce qui m’intéresse, ce sont les capacités et les compétences. »

« Il faut que l’on éduque nos filles et nos garçons différemment »

Quoi qu’il en soit, comment expliquer ces chiffres et cette situation ? Cette si faible proportion de profils féminins tout en haut de la hiérarchie sportive ? « C’est difficile à dire. Je pense que beaucoup ont peur. Elles ont une famille, un boulot, elles ont peur de ne pas réussir », avance Norma Zambon. Stéphanie Empain lui emboîte le pas : « Je pense que c’est dû à une multitude de choses. Le fait qu’il n’y ait pas beaucoup de femmes dirigeantes n’aide pas les jeunes femmes à prendre ce chemin. C’est comme pour tout, s’il n’y a pas d’exemples, de modèles, c’est difficile. Il faut que les groupes qui ont l’habitude de fonctionner entre hommes s’ouvrent davantage aux femmes. Il faut aussi, certainement, que l’on éduque nos filles et nos garçons différemment, dès le plus jeune âge. On doit sensibiliser tout au long de la vie. » À leur échelle, ces femmes de pouvoir font tout pour peser, pour faire bouger les choses. Elles proposent des pistes pour le changement. « Encourager les clubs avec des subsides supplémentaires pour ceux qui jouent le jeu de l’égalité est une option qui peut fonctionner », poursuit Stéphanie Empain. Norma Zambon embraye dans le sillage de sa consœur : « Il faut multiplier les campagnes de sensibilisation, comme le colloque sur l’égalité hommes/femmes qui s’est tenu le 4 juin dernier à la Maison du savoir, à l’université de Luxembourg. Ensuite, c’est à nous les femmes déjà en responsabilité d’encourager les autres à nous rejoindre. Dédramatiser, leur dire que ça vaut le coup et que c’est faisable ! Dans ma fédération, on demande de façon offensive à ce que des femmes s’engagent. » Au sein de la Fédération d’athlétisme que dirige Stéphanie Empain, des efforts sont également fournis pour tirer les filles vers le haut et pour les pousser sur le devant de la scène. Norma Zambon, très impliquée sur le sujet, en remet une couche : « Ce sont des choses qui prennent du temps. Mais il faut foncer pour celles qui ont envie d’y aller et ne pas trop se poser de questions, ne pas se focaliser sur ce que les gens vont pouvoir dire. Il faut le faire ! C’est comme ça que j’ai fait. Ce serait bien que les médias mettent davantage en avant les performances sportives des féminines aussi… Bref, il reste du boulot à tous les niveaux. »

« La nouvelle génération gère mieux cette question d’égalité »

L’évolution est donc souhaitée et souhaitable. Surtout que nos trois leaders féminines se retrouvent sur un point : les femmes ne dirigent pas de la même manière que les hommes. « J’ai dit un jour, au cours d’une réunion de la Ligue : “C’est triste que la seule personne qui ait des couilles ici, ce soit une femme ! (rires). Plus sérieusement, je dirais que les femmes sont peut-être un peu plus rigoureuses, un peu plus ordonnées. Et je crois fondamentalement qu’une femme qui a du caractère a souvent plus de courage qu’un homme pour dire vraiment les choses”, témoigne Karine Reuters. « Je pense que l’on réfléchit trois fois plus avant de prendre une décision, on pèse davantage les conséquences, sûrement parce que l’on considère que l’on a moins le droit de se planter qu’un homme ! On se dit que l’on sera dix fois plus punie si on prend la mauvaise décision », explique Norma Zambon. Stéphanie Empain complète : « Il y a toujours des exceptions, mais je trouve que l’on inclut davantage un maximum de personnes, que l’on cherche davantage le consensus, que l’on écoute plus les jeunes athlètes et qu’on les encourage à devenir les dirigeants et dirigeantes de demain. Heureusement, dans notre comité, hommes et femmes sont dans cette optique, regardent dans la même direction. »

Les motifs d’espoir sont là, même si cela ne va pas aussi vite qu’on le souhaiterait. « Je crois que la nouvelle génération gère mieux cette question d’égalité. Les choses bougent, il y a plus de respect », conclut Norma Zambon. Il reste peut-être quelques haies à franchir, quelques filets à dépasser pour déposer son smash vainqueur, mais la route se dégage, l’horizon s’éclaircit… à vous les filles !

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