Ken Strachan : « Si vous ne prenez pas de risque, vous ne faîtes jamais rien »

Kenneth Strachan est un homme d’ambition. Ex-directeur du golf d’Hardelot dans le nord de la France, ce franco-écossais est depuis mars 2020 le nouveau directeur du golf de Preisch, situé aux 3 frontières entre la France, le Luxembourg et l’Allemagne. Entre vision sur l’avenir de Preisch, rapport personnel au golf et relations avec les autres golfs, Ken Strachan s’est livré sans concessions pour Swing!

Parlons un peu de vous. Quel est votre parcours professionnel ?

J’ai joué au golf toute ma vie. J’aurais pu faire de grandes études, mais à 17 ans, je suis devenu « Assistant golf professionnel » au Dublin Golf Club. Je suis devenu professionnel à 18 ans, j’ai passé tous mes examens et je suis devenu membre du PGA à l’âge de 21 ans. Quand vous êtes membre du PGA, vous avez la possibilité d’aller vers plusieurs domaines. Vous pouvez aller vers une carrière de joueur professionnel avec un enseignement de haut niveau, mais aussi vers la gestion. La gestion d’un golf n’était pas ma première passion, mais il faut parfois suivre les opportunités qui se présentent à vous. À 30 ans, j’ai donc eu la possibilité prendre les rênes du golf de Nanterre. Un an plus tard, le golf de Hardelot m’a appelé pour devenir directeur de leur golf. Quand je suis arrivé là-bas, j’ai vu qu’il y avait absolument tout à refaire. J’y ai passé 23 ans et nous y avons fait tellement de choses que je n’ai pas vu le temps passer… J’en ai fait un golf touristique de très haut niveau, qui est devenu le 7e golf de France et le 26e en Europe.

Quand j’ai pris la décision de quitter Hardelot, j’avais plusieurs projets en tête : soit monter ma chaîne de golf, soit créer une académie. Mais c’est là que Flavio Becca m’a appelé. Il avait un projet ambitieux et il cherchait un expert. J’étais face à un choix complexe mais j’ai choisi l’offre de Flavio et je ne regrette pas. Je ne pensais pas passer la majeure partie de ma carrière à gérer des golfs, mais c’est certainement la passion de ce sport qui m’a amené jusqu’ici. Si je suis là, c’est parce que le golf de Preisch peut devenir l’un des meilleurs en Europe et parce que je suis déterminé pour réussir ce projet.

Vous dites clairement que le golf de Preisch peut devenir l’un des meilleurs en Europe…

Oui, exactement. Le tracé est magnifique, il a été très bien réfléchi dès le début parce qu’il est divisé en trois parcours de 9 trous (NDLR : un parcours Luxembourg, un parcours France et un parcours Allemagne) avec un practice et de superbes zones de putting. Ces trois parcours reviennent directement vers notre club-house. De plus, nous allons prochainement construire un hôtel 4 étoiles pour accueillir plus de personnes en provenance de l’international.

Géographiquement parlant, le golf de Preisch a également beaucoup de potentiel. Il est situé sur les 3 frontières, donc il est très bien placé et peut réellement devenir une destination touristique. Tout est réuni pour que cet endroit devienne quelque chose d’exceptionnel. Par le passé, Preisch avait une bonne réputation, mais il n’y a plus eu de réelle orientation ces dernières années, donc ce n’était pas très bien géré.

Quels sont les problèmes auxquels vous avez dû faire face au golf de Preisch ?

Je n’ai pas eu énormément de chances car je suis arrivé le 1er mars 2020, soit 15 jours avant la pandémie. Le Covid-19, c’est comme un membre du club jusque là (rires) ! J’espère qu’il nous lâchera bientôt, mais c’était vraiment compliqué de redresser une société tout en affrontant une pandémie mondiale.

La véritable problématique qui était en place quand je suis arrivé, c’est que le golf n’était pas très bien structuré, et ce depuis plusieurs années. Il y avait plusieurs actionnaires et tous ne s’entendaient pas sur la marche à suivre. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un seul actionnaire, Flavio Becca, et c’est une chance car nous avons réussi à tout réorganiser. Notre association sportive a désormais comme président David Winandy, l’un des tous meilleurs joueurs de golf au Luxembourg. Maintenant, tout est restructuré, tout est réorganisé, ce qui nous permettra de faire de ce golf un centre de profit. Souvent, les golfs sont mal gérés car il y a trop de « gratuités ». Aujourd’hui, on a une bonne base de travail pour développer ce golf. L’argent que créerons, nous le réinvestirons directement pour l’amélioration du site. Le complexe a quasiment 25 ans, donc beaucoup de choses sont aujourd’hui fatiguées : le système d’arrosage, de drainage, le parc d’arbres… Il y a beaucoup de travail, mais c’est un super challenge.

Qu’allez-vous mettre en place pour les golfeurs qui viendront jouer au sein de votre complexe ?

Dans un premier temps, le club aura comme vocation d’être un club de membres. Par contre, nous ne ferons pas les mêmes erreurs que les autres clubs, c’est-à-dire le saturer en faisant entrer tout le monde. On va mettre un cap sur le nombre de membres autour de 950. Et en termes de green-fee, nous essayerons de tourner autour de cinq à six mille green-fees maximum en se focalisant sur la qualité.

« Flavio Becca m’a appelé. Il avait un projet ambitieux et il cherchait un expert »

Avec des finances solides, nous pourrons nous permettre de financer de nouveaux projets. Nous envisageons par exemple de redessiner et d’améliorer le parcours, donc nous travaillons actuellement avec des architectes. De plus, les clubs de golfs se « spécialisent » souvent dans un seul domaine. Il y a parfois des clubs de membres pas très sportifs, parfois des clubs sportifs mais sans l’aspect membres. Un club avec tous ces labels, c’est peu fréquent. Nous sommes l’un des rares clubs qui mettons en place notre propre politique, à savoir un bon club de membres, mais aussi une bonne association sportive. Avec la construction d’un hôtel 4 étoiles de 80 chambres, nous aurons également une dimension touristique, qui apportera à coup sûr du dynamisme à la Moselle, au Luxembourg, à Mondorf… Aujourd’hui, je suis très content. Nous avons une restauration qui était quasiment fermée quand je suis arrivé. Flavio Becca a vu l’importance d’un restaurant, il m’a donné sa confiance et il a maintenant l’un des meilleurs chefs italiens du Luxembourg, Enrico Scucchia. Nous avons donc une restauration italienne de grande qualité, qui facilite le travail sur tout ce qui est « corporate ».

Que vous manque-t-il d’autre par rapport aux meilleurs golfs d’Europe pour pouvoir rattraper un certain retard ?

Tout d’abord, il manque un peu d’histoire. Un golf qui a eu de grands champions a forcément plus de renommée qu’un autre, et l’histoire est importante. On doit donc créer de l’histoire, aller chercher dans les 24 années passées les événements qui se sont tenus et les mettre en avant. La qualité du parcours est également primordiale pour rattraper notre retard. Nous avons un nouveau greenkeeper, nous agrandissons petit à petit les équipes, mais il y a beaucoup de travail. Quand les finances n’étaient pas au mieux, le golf a commencé à se dégrader progressivement, donc notre priorité numéro 1 sera de remettre le parcours à un très haut niveau. L’objectif serait aussi de ramener un grand tournoi international de première division European Tour. C’est incontournable pour faire partie des meilleurs, et c’est pour cela que nous sommes en contact avec European Tour Design, qui nous fournit des experts liés à l’European Tour. Pour faire partie des meilleurs golfs, nous aurons aussi besoin de la presse, que ce soit nationale ou internationale. Prochainement, je vais essayer de ramener toute la presse britannique. Pour monter dans le classement, la presse est très importante, il y a du lobbying à faire. Mais toutes ces améliorations à effectuer, c’est brique par brique et avec beaucoup de travail que nous le ferons, tout est une question de temps et de patience. C’est bien d’avoir de l’ambition et de savoir où l’on veut aller, mais ça prendra plusieurs années.

En étant situé à la frontière entre la France, l’Allemagne, le Luxembourg et à proximité d’autres pays comme la Belgique, quel pourcentage de joueurs étrangers avez-vous au sein de votre golf ?

Nous avons environ 65% de luxembourgeois en prenant compte les personnes ayant une double-nationalité, et 25% de français. Pour le reste, ce sont effectivement des allemands, des belges, des britanniques… Il y a une pluralité de nationalités (26 nationalités au total) qui en font un complexe international. C’est la force de ce golf. Nous sommes en France, donc nous devons respecter la législation française, mais le golf se doit d’être très international et doit être géré comme tel.

« Tout est réuni pour que cet endroit devienne quelque chose d’exceptionnel »

Quelle est votre relation avec les golfs aux alentours ?

Chaque golf a ses différentes problématiques. Le Grand-Ducal est un golf privé qui est une référence au Luxembourg, mais avec une vocation très différente de la nôtre. Ils ne cherchent pas forcément à se développer ou à faire du tourisme, ni à créer un grand décor de golf. C’est un club avec des reins solides, où c’est un réel privilège d’y jouer.
Le golf du Kikuoka est le golf luxembourgeois qui nous ressemble le plus, puisqu’ils ont également un hôtel Mercure 4 étoiles. Par contre, ils n’ont que 18 trous, ce qui fait 9 trous de moins que nous, donc un golf bien moins grand qui leur donne d’autres problématiques, puisque Kikuoka, comme Junglinster, ont trop de golfeurs. Ils possèdent en tout 1 200 membres, ce qui est énorme par rapport à leurs 18 trous. De nôtre côté, nous sommes à 600 membres pour 27 trous, avec l’objectif d’arriver à un nombre de 950 membres maximum, car quand vous dépassez un certain seuil, cela ne devient plus agréable pour les clients. Nous voulons éviter un effet de saturation. C’est pourquoi je trouve important de travailler ensemble avec les golfs qui nous entourent. Tout le monde dit par exemple «le golf d’Arlon va venir vous embêter…» mais c’est le contraire ! Les amateurs de golf ne viennent pas seulement jouer à Preisch, mais aussi dans les complexes alentours, comme le Kikuoka, le nouveau golf à Arlon… Il faudra donc créer une réelle synergie pour que l’on devienne une destination « golfique ». Il n’y a pas beaucoup de golfs dans la région et donc pas beaucoup de concurrence. Pour vous donner un ordre d’idée, dans ma ville de Dundee en Écosse, il y a 80 golfs dans un rayon de 30 minutes en voiture.

Comment vous positionnez-vous par rapport à eux ?

Le Grand-Ducal et Junglinster sont des golfs plutôt privés, même si ce dernier est un peu plus ouvert. Kikuoka est un golf assez commercial. Du côté français, il y a Longwy, qui est géré par une chaîne, et Amnéville, qui n’est pas un golf de très grande qualité. Donc ces deux-là ne sont pas d’une grande concurrence.

On ne veut pas saturer le complexe, c’est pourquoi nous ne ferons plus autant de remises, de gratuités… C’était le cas avant, et il y avait trop de monde. Nous voulons être un golf de standing, de qualité, et ouvert à tous, sans pour autant avoir un côté snob. Chaque golf a son ADN et celle de Preisch sera unique. Nous ne serons pas le golf le moins cher, mais nous serons certainement très bien positionnés en termes de qualité, et avec une dimension internationale. Nous sommes également en train de travailler pour recevoir le label « Golf Environment Organisation » (GEO) qui ferait de notre golf un lieu environnemental reconnu. Nous ne pourrons plus utiliser de produits phytosanitaires dans 4 ans, donc nous devons déjà maintenant trouver des solutions pour entretenir nos parcours.

« Nous voulons être un golf de standing, de qualité et ouvert à tous, sans avoir le côté snob »

Accordez-vous beaucoup d’intérêt à la communication autour de votre golf ?

Oui, j’y accorde beaucoup d’importance. Nous avons signé un accord avec une agence de communication, Wait, qui a renouvelé notre site. En plus de ça, nous avons une newsletter et nous allons commencer à communiquer de plus en plus sur notre restaurant, nos événements… La pandémie a compliqué les choses parce que nous ne pouvions pas organiser de grandes manifestations, donc nous avons encore une grande marge de progression, mais nous voulons montrer ce qu’il se passe à Preisch. C’est important, parce que nous allons travailler avec différentes sociétés, comme Leading Courses (NDLR : une sorte de Tripadvisor pour le golf) qui permettra aux gens de donner des notes sur notre golf. La liaison entre notre site et celui de Leading Courses va pouvoir toucher encore plus de personnes. C’est un plus.

Quelle est votre vision en tant que directeur de golf ? On a l’impression que vous devenez spécialiste dans le redressement de golf…

Je ne suis pas quelqu’un qui bouge beaucoup, mais oui, si je dois renouveler mon CV, je dirais que je suis un spécialiste pour redresser la situation des golfs ! J’ai également réalisé des audits, notamment pour Disney Development qui m’avait contacté il y a quelques années pour un de leurs golfs qui ne fonctionnait pas. Mais mon destin, c’est surtout de travailler pour de grandes familles ! C’était le cas à Hardelot, et ça l’est encore aujourd’hui à Preisch. Flavio Becca est quelqu’un de très exigeant, mais j’aime ce challenge et si dans quelques années nous atteignons notre objectif, on sera tous heureux.

Vous avez encore le temps de jouer ?

Pas beaucoup ! Le problème, c’est que j’ai un fils qui joue très bien au golf, et depuis 8 ans, quand j’ai des vacances, on l’amène sur les tournois. Donc même quand je suis en vacances, je suis sur un golf. Mais une fois qu’il aura 18 ans et son permis, je crois que j’irai plutôt sur une plage ! (rires). Si je voulais jouer au golf, il faudrait que je fasse un autre métier…

Entretien réalisé par Julien Sins

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