Pascal Welter : « Un titre spécial »

Nous avions prévu de parler du titre, de la saison passée et des ambitions pour la prochaine. Pourtant, l’entretien aura été bien plus long, et les sujets plus riches et variés. La faute à un Pascal Welter certes fatigué après avoir fêté ce titre la nuit précédente, mais avec énormément de choses à dire, un franc-parler rafraichissant, et des opinions claires. Entretien avec un homme heureux, mais toujours dans la recherche de la progression.

Vous approchez de dix années en tant que Directeur Sportif du Fola, et avez maintenant remporté trois titres dans cette fonction (quatre si l’on compte l’an passé). Est-ce que celui-ci est le plus beau ?

Tous ont été très beaux. Mais en effet, celui-ci est spécial. Premièrement, parce qu’on ne nous attendait pas là. Après la saison « Covid » de l’an passé, on a commencé celle-ci avec deux expériences douloureuses. On a perdu à Tiraspol en Champions League, et puis on a été éliminé face à Aravan dans un scénario impensable. Mais on voyait déjà qu’il y avait quelque chose dans le groupe, y compris les jeunes qui commençaient à émerger. Le Covid nous a permis de prendre tout de suite 30 joueurs dans le groupe et on a vu que cela a fait un bien fou aux jeunes, qui ont bien plus vite progressé. Certains étaient même titulaires. Donc c’est un titre spécial, que j’aime appeler « Famille Fola ». 

En début de saison, vous n’étiez pas forcément favori et n’aviez pas fait du titre un objectif. A quel moment avez-vous officieusement compris qu’il était possible d’aller au bout ?

Lorsqu’on a sept points d’avance au moment d’aborder la fin de saison, si on ne se fixe pas de nouveaux objectifs, c’est être malhonnête envers soi-même. C’est à ce moment la qu’on se l’est avoué entre nous, ce qui a peut-être d’ailleurs joué dans le fait qu’on ait commencé à perdre quelques matchs.

Avez-vous tremblé durant cette fin de saison où le Fola a dilapidé son avance ?

La première défaite n’avait rien de choquant. Ce n’est pas possible de gagner tous les matchs. Par contre, face à Ettelbruck, là, j’étais fâché. Fâché sur différents éléments mentaux qui n’étaient pas à la hauteur de ce qu’on attend d’une équipe qui veut être champoion. C’est aussi là que l’on a mis les points sur les i avec les joueurs, lorsque certains d’entre eux étaient déjà sûrs de partir.

Les annonces de départ ont-elles pu faire du mal au groupe ? Y a t-il eu une corrélation d’après vous entre ces annonces et les mauvais résultats ?

Aucune annonce n’était officielle à ce moment. Le staff rapproché était au courant des principaux départs et mouvements, mais on avait convenu – avec Dudelange par exemple – de ne rien officialiser avant la fin de saison. Mais avec toutes les rumeurs qui tournaient, on a préféré finalement communiquer. Et le jour ou on a tout officialisé, on a recommencé à gagner. J’avais demandé aux joueurs dont on était sûr du départ si tout ceci créait une situation de stress trop élevé. « Est-ce que votre situation personnelle influe sur votre jeu ? » Ils avaient un sac à dos rempli de pierres, et c’était à nous de leur permettre de s’en débarrasser. Il y avait aussi une inquiétude globale du vestiaire, qui commençait à se demander si nous allions être compétitifs la saison prochaine. Il fallait donc absolument prendre les devants et communiquer.

Le match de dimanche contre la Jeunesse a pris un certain temps à se débrider, jusqu’à l’ouverture du score, où on sentait les joueurs un peu pris par l’enjeu. Avez-vous eu peur qu’il ne soit pas capable de se libérer ?  

Non.La situation avait été similaire lors du match précédent. Il faut d’abord gérer, regarder ce qui est proposé en face. On joue toujours contre un adversaire, il ne faut pas l’oublier. Et la Jeunesse, c’est une opposition très sérieuse en face, qui avait sûrement à coeur de nous empêcher d’être champion. Donc dans ce contexte, il y a une part de mental. On regarde d’abord, on analyse. Et je pense en effet que le but nous a permis de nous libérer, et aussi diminuer la motivation de notre adversaire. Psychologiquement, on a pris l’ascendant, et après on a pu dérouler.

Six arrivées, beaucoup de départs… N’avez-vous pas peur de repartir à zéro l’an prochain d’une certaine manière ?

La colonne vertébrale reste. C’est ce qui est important et fait notre force. On est habitués depuis trois saisons à perdre des éléments majeurs. Je pourrais en citer une dizaine. Mais on a toujours su rassembler un groupe cohérent par la suite. On a aussi eu des joueurs qu’on n’attendait pas qui ont pris le relais. A l’exemple de Jules Diallo, pas forcément le plus connu, mais qui était arrivé à maturité pour rentrer dans une équipe capable de jouer le titre. On a su compenser les départs collectivement. Et notre jeu a aussi évolué. Jeff Strasser avait mis les bases sur un jeu plus conservateur, et « Seba » a mis sa touche personnelle, avec un jeu plus vertical, et des joueurs qui s’éclatent plus. Donc l’avenir ne me fait pas peur. On doit rester zen financièrement, garder la tête froide et je pense que l’on va y arriver.

Le modèle politique sportif, qui consiste à sortir énormément de jeunes du centre de formation semble parfaitement fonctionner. Est-ce que c’est une grande fierté ?

Bien sûr ! Si je peux me permettre d’ailleurs de remercier tout le staff technique de nos jeunes. Tout entraîneur est important dans le développement,. Lenny Almada, personne ne le connaissait, et hier il est rentré après cinq minutes dans un match capital pour remplacer Cédric Sakras. Est-ce que vous ne trouvez pas que c’est phénoménal ce que les coach des jeunes ont fait au Fola ? Que le gamin rentre et joue sans complexe… Donc évidemment, il y a une immense fierté, même si le risque qu’on les perde demeure. Ce qu’on ne veut pas évidemment et on pense pouvoir l’éviter, à l’image de notre gardien Cabral : malgré des offres très alléchantes d’autres clubs, il a signé chez nous pour trois ans. On a la sensation d’avoir crée une communauté. Regardez hier : tout le monde était la, à soutenir l’équipe.

Mais n’est-ce pas à un certain moment une limite dans les objectifs d’expansion du club ?

On voit déjà qu’on commence à atteindre certaines limites. Déjà, deux de nos U17 partent à l’étranger. Cela veut dire qu’on est en risque de ce côté là, de les perdre très jeune. On est très fier de voir un Laurent Jens, un Rodrigues jouer dans des ligues professionnelles. Mais c’est vrai que nous restons vulnérables.

Est-ce qu’il y a quelque chose à faire ?

On est un club amateur géré par des bénévoles. Je pense qu’en effet on pourrait proposer des contrats à des joueurs plus jeune, mais ce n’est pas dans ma philosophie. Je trouve que si on met des contrats à des gamins de 15, 16 ans, est-ce qu’on ne rentre pas dans la case professionnelle ? Pour moi oui, mais dans ce cas-là, il faut aller au bout de la réflexion, et cela coûte de l’argent… Il faut alors avoir des ressources financières que l’on n’a pas. Ce que l’on veut c’est optimiser le tout. Optimiser la gestion financière avec le volet sportif, et notre formation des jeunes. Tout fonctionne ensemble.

Le départ de Cédric Sakras, après tant d’années au club, vous le comprenez ou c’est une franche déception ?

Bien sur qu’il y a une déception. Cedric, quand je l’ai pris, quand on était à Metz avec lui, je le voyais comme joueur de l’équipe nationale. D’ailleurs, je ne comprends pas qu’il ne soit pas convoqué après sa saison extraordinaire. Il y a une déception, mais il rentre à la maison, il vient d’Hesperange. C’est la seule explication que je peux comprendre. Pour le reste, on a tout à lui offrir ici. Peut-être qu’il y a des choses que je ne sais pas.

Vous en avez parlé ensemble ?

Oui. Il m’a dit qu’après cinq ans ici, il avait besoin d’un changement. Après le titre, que peut il faire de plus ? Quand je parle de déception, attention je préfère clarifier : ça me fait mal au coeur. Parce que je l’adore ce gamin, c’est quelqu’un qui fait vivre le vestiaire, qui a le coeur sur la main. Donc le voir partir fait mal. Mais si il part pour des raisons financières, bon… il est encore jeune, je ne verrais pas ça comme une priorité. Donc d’un côté j’essaye de comprendre, mais de l’autre, ça fait vraiment mal.

Quand vous voyez la trajectoire de Laurent Jans, qui vient de signer au Sparta Rotterdam, pensez-vous que c’est la preuve que le joueur luxembourgeois arrive de mieux en mieux à s’exporter ?

Je pense que oui. Je dois féliciter tout le travail fait sur la formation à Mondercange. On produit des joueurs de plus en plus intéressants. Je pense que cette tendance va continuer. Mais quand on voit le temps de jeu que Laurent Jans a eu à Metz, je me dis que l’on ne prend toujours pas forcément le joueur luxembourgeois au sérieux. Si on regarde maintenant Barreiro, Gerson Rodrigues, Jans, ça aide à changer l’image. Les résultats positifs de l’équipe nationale aident aussi.

Vous parlez ici de l’image que vont avoir les joueurs ou clubs luxembourgeois à l’international. Mais ne faut-il pas aussi réussir à la changer au sein du Grand-Duché ?

Oui je suis d’accord. Je pense que l’on sous-estime complètement le championnat luxembourgeois. On le voit bien avec les joueurs de Ligue 2 qui viennent ici : ils ne s’imposent pas tout de suite ni forcément. A la fin du compte, tout le monde dit que c’est un championnat assez physique, au rythme intéressant. Donc en effet, vis à vis de cela, il faudrait réussir à mieux valoriser nos championnats. Je pense par exemple à Instant Scout qui veulent venir ici. Avec RTL qui montre maintenant les matchs, ils pourraient dorénavant faire des analyses beaucoup plus complètes des performances des joueurs. Cela nous permettra de comparer les data avec ceux des autres pays. Cela sera alors beaucoup plus facile d’exporter notre image et notre football à l’étranger. Parce qu’il faut aussi qu’à un certain moment cela devienne plus important pour des sponsors. Si j’avais quelques millions à dépenser pour avoir un résultat, cela pourrait être très facile au Luxembourg. Avec 20 millions d’euros investis au FC Metz, tu ne vas pas jouer l’Europe. Au Luxembourg par contre, c’est une quasi certitude… Le business model de la plupart des pays dans le domaine du football est généralement les droits TV, que nous n’avons pas ici…

Vous pensez que l’on va y arriver ici ?


J’ai très peu d’espoir qu’on sera un jour payé pour les droits d’image. Cela serait dans l’intérêt de tout le monde pourtant.

Qu’est ce qui bloque alors ?

Je pense le point financier. Si on dit demain « on veut vendre les droits », quelqu’un doit les payer. Mais qui veut les payer ?

Quelqu’un qui voit le long terme ? L’augmentation de visibilité, de réinvestissement pour améliorer le championnat, le cercle vertueux de tout cela ?

Ah mais je suis absolument d’accord. Mais il faudrait déjà qu’à la FLF, il y ait un vrai désir de promouvoir le championnat du point de vue marketing. D’après moi – et ce n’est que mon opinion – c’est l’équipe nationale qui est la vraie priorité. 

Vous en parlez avec eux ?


Non, je préfère parler aux sportifs (sourire). Mais à mon avis, c’est quelque chose qui manque ici oui. Les trois sources de revenus pour les clubs ailleurs, c’est droits TV, vente de joueurs et le sponsoring. Ici, on a que le dernier. Donc dans ce contexte, si on veut se développer plus, il faudrait que les deux autres rattrapent le retard. Quand Laurent Jans est parti par exemple, on a très peu reçu. Gerson, pareil. Mais sincèrement, dans ce contexte je ne pense pas que les choses vont beaucoup bouger dans les prochaines années. Parce que regardez ce que font les clubs autour aujourd’hui ? Ils viennent chercher les joueurs à treize ans, pour ne pas avoir à payer les indemnités de formations. C’est malheureusement la réalité d’aujourd’hui. 

Vous pensez que la professionnalisation arrive ?

Sincèrement, non. Partons sur du concret : est-ce qu’un club peut engager un docteur full time ? Un médecin au Luxembourg, il a déjà beaucoup à faire, donc, ça sera déjà difficile de se professionnaliser au niveau médical. Le staff technique, nous avons tous un métier à côté. Les joueurs, à priori on pourrait le faire avec des contrats de travail, mais ça implique des couts énormes pour les clubs. Et ce que les clubs professionnels ont que nous n’avons pas, c’est que tout ce qui gravite autour est professionnel. L’infrastructure, la logistique, le secrétariat : tout doit bouger. Cela à un coup qui implique des budgets d’au moins 3,5 Millions par an. 

Parlons à nouveau du Fola. Quel est l’objectif pour l’an prochain en championnat ? Conserver le titre ?

(il hésite) Non. L’objectif est de terminer avec une place européenne. Etre dans les trois premiers ou gagner la Coupe.

Vous allez vite devoir répondre présent, avec le début des qualifications européennes dans moins d’un mois. Que pensez-vous du fait qu’aucun club luxembourgeois puisse aujourd’hui participer à l’Europa League ?

C’est une grande déception, mais ce n’est pas uniquement pour les clubs luxembourgeois. Ce que font l’UEFA et la FIFA c’est de plus en plus pousser l’élite vers le haut, et mettre les autres dans le tiers monde.

On a tout de même vu une véritable opposition au projet de Super Ligue…

Heureusement que les supporters ont tous réagi par rapport à ce genre de folies financières, car à la fin du compte on ne parle plus du tout de sport mais que de business.

Et vis-à-vis de ces qualifications pour la Ligue des Champions : quel est votre objectif ?

Depuis la dizaine d’années que je suis directeur sportif, on n’a jamais passé un tour en Champions League. Donc c’est le grand rêve et l’objectif. On saura dès la reprise contre qui on va jouer, on saura à quoi s’attendre. Si on tombe sur le Dinamo Zagreb bon… c’est un autre monde. On parle d’un budget de 50 millions contre notre petit budget de 1 million… On aimerait tomber sur un adversaire plus accessible. 

L’avenir pour vous demeure t-il au Fola ?

Bien sûr. Aucun doute.

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