Franck Mériguet : «C’est devenu ma famille»

À 48 ans, Franck Mériguet vit sa 10e saison en tant qu’entraîneur principal sur le banc du Basket Esch, si bien que sa relation avec le club dépasse aujourd’hui le simple cadre des parquets. Sa carrière de joueur, à la fois riche et frustrante, son arrêt brutal à cause d’un problème cardiaque, ses débuts d’entraîneur, sa vision du basket, son passage en tant que sélectionneur du Luxembourg, son premier titre avec Esch l’an passé… L’ancien international français prend le temps de se confier longuement. Sans filtre, comme toujours.

Vous êtes né le 21 mars 1974 à Pézenas, dans le sud de la France. Comment est née votre passion du basket ?

Ce n’est pas venu tôt. Je n’ai commencé qu’à 12 ou 13 ans. Je faisais du foot au début, un peu comme tout le monde, et de la natation. Et puis comme Pézenas n’est pas très grand et que j’étais immense au niveau de la taille (2 m aujourd’hui), le coach de l’équipe locale est venu me voir plusieurs fois, mes parents aussi, pour nous dire que je devrais faire du basket. Au début, ça ne me disait pas du tout… J’ai fini par essayer. Et quand j’ai vu que je faisais trois têtes de plus que les autres et que je dominais, alors qu’au foot j’étais catastrophique, je me suis rapidement dit : « Tiens, c’est pas mal ce sport en fait ! » Je suis vite devenu mordu.

Votre talent est tout de suite repéré et reconnu puisque vous faites toutes les sélections de jeunes en équipe de France, avec en point d’orgue un titre de champion d’Europe junior en 1992, à Budapest, suivi d’une médaille d’argent l’année suivante au Mondial des moins de 22 ans, à Valladolid. Que retenez-vous de cette période ?

Ce sont les meilleures années. Tu es encore entouré de potes, tu es jeune, tu as 17 ans. Tu n’es pas encore dans le milieu professionnel où tu as la pression, le contrat dans ta tête si tu fais de mauvais matchs, où tu penses à ta carrière. Là, tu es en équipe de France, entre potes, et tu joues au basket. Et en plus, on a des résultats et on décroche ce titre de champion en 1992. L’année d’après, on est vice-champion du monde, on joue en finale contre les Ricains, qui ont tous réussi leur carrière ensuite en NBA. Donc, voilà… Tout ça avec une ambiance de fou en dehors du terrain, on était une vraie bande de potes, à toujours tout faire ensemble. Donc ce sont vraiment, encore une fois, de très belles années.

À 17 ans, vous jouez déjà à Limoges. Et là, une grosse université américaine, Wake Forest, vient vous chercher. Mais vous décidez de ne pas partir. Pourquoi ?

À l’époque, on est en 1992, il faut revoir le contexte. Il n’y avait pas beaucoup d’Européens et de Français qui s’expatriaient là-bas. Moi, j’étais dans mon premier club pro, à Limoges. J’ai fait le choix du confort… Il y avait sûrement un peu de peur, d’appréhension de l’inconnu. On n’avait pas d’exemples à ce moment-là. Avec du recul, il s’agit d’un énorme regret… L’expérience dans une université américaine t’apporte beaucoup de choses, pas que sur le plan du basket, mais aussi sur l’ouverture d’esprit et tout le reste. Et pour l’anecdote, j’étais tellement déconnecté que je ne savais même pas que Wake Forest était une énorme université ! Alors que t’as des mecs comme Tim Duncan qui sortent de là. Quand je dis ça à mes Américains d’Esch aujourd’hui, ils me prennent pour un fou. Quelle aurait été ma vie si j’étais parti ? On ne le saura jamais.

Cela ne vous empêche pas de jouer dans les meilleurs clubs français : Limoges, le PSG Racing, avec qui vous êtes champion de France en 1997, Antibes, Le Mans, Nancy. Quel type de joueur étiez-vous ? Quelles qualités vous ont permis de faire cette carrière ?

C’est assez clair pour tout le monde, j’étais vraiment cantonné sur le shoot extérieur, sur le shoot à trois points. Ce qui est bien, mais qui m’a en même temps fait défaut pour aller plus haut. J’aurais sûrement dû être un peu plus complet dans mon jeu.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce parcours ?

C’est assez bizarre parce que, évidemment que c’est pas mal, c’est une carrière professionnelle, mais je ne suis jamais satisfait et pour moi, je suis peut-être passé à côté d’une carrière un peu plus grande. On en veut toujours plus… Et par rapport à mes débuts en jeunes, au potentiel et à mon évolution, il y a ensuite eu une sorte de stagnation et je n’ai pas passé ce petit palier qui m’aurait permis d’être un joueur titulaire en équipe de France, par exemple (13 sélections). Il manque un truc. Si c’était à refaire, j’aurais peut-être fait d’autres choix. Après l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) que je fais pendant deux ans avant d’être pro, je fais sûrement l’erreur d’aller directement à Limoges, qui était à l’époque le club champion de France depuis des années – le gros club – donc je ne jouais pas beaucoup. J’aurais sûrement dû commencer par un club moins important, mais où j’aurais davantage joué.

Cette carrière s’arrête brutalement alors que vous avez 30 ans. Vous venez de signer un nouveau gros contrat à Nanterre. Et là, on vous annonce que vous ne pouvez plus jouer au basket. Qu’est-ce qu’il se passe et comment vivez-vous la situation ?

Je fais un test à l’effort que l’on réalise tous les ans et qui est obligatoire. Le lendemain, le professeur de la Pitié Salpêtrière à Paris m’appelle et me dit : « Je veux absolument vous voir, venez tout de suite. » Je lui réponds que je ne peux pas, que je vais à l’entraînement. Et là, il me sort : « Vous n’allez pas vous entraîner, et vous ne jouerez pas samedi non plus. Je ne peux pas vous le dire au téléphone, venez à l’hôpital. » Quand j’arrive, il m’annonce que j’ai un problème grave au cœur et qu’il est certain à 99 % que je dois arrêter ma carrière. J’avais eu des signes de malformations… Trois ans plus tôt, ils m’avaient déjà détecté un petit truc. Mais là c’était sûr, je devais arrêter à cause d’une dysplasie cardiaque. Là où j’ai de la chance, c’est que c’était censé être une maladie évolutive et que ça n’a finalement pas évolué. Mais devoir arrêter ma carrière comme ça… je me suis pris une enclume sur la tête.

Quel reste votre meilleur souvenir sur un parquet en tant que joueur ?

Il y en a pas mal… À 17 ans, quand j’étais à Limoges, on a joué l’Open McDonald’s à Bercy, devant 17 000 personnes. Et je me suis retrouvé à défendre sur… Magic Johnson ! Et j’ai 17 ans, c’est un truc de fou ! En plus dans ce contexte, dans cette salle mythique pour nous, les Français… jouer les Lakers, ça reste à vie. Le deuxième, je dirais le titre de champion de Pro A avec le PSG Racing contre Villeurbanne. Après une saison galère, on finit sur de gros playoffs. On bat Pau, on bat tout le monde et on arrive en finale contre Villeurbanne et on les tape en deux manches. C’est un souvenir énorme. Personnellement, j’ai eu des hauts et des bas au cours de cette saison et je finis par de grosses performances en playoffs (notamment le match contre Pau où je suis en feu avec 20 points à la mi-temps). Ce sont des trucs qui marquent.

Après le coup de frein brutal à cette carrière, vous rebondissez vite en devenant entraîneur, à Frontignan la Peyrade en Nationale 2, puis à Longwy en Nationale 1. C’était une évidence de passer du terrain au banc pour vous, de rester dans le basket ?

Non, pas du tout ! Quand j’arrête ma carrière, c’est tellement un coup de massue que je veux sortir du basket. Donc je cherche des projets, j’ai l’idée d’ouvrir un bar ou un resto avec mon frère à Montpellier. Tout ça dure un an, un an et demi. Pendant ce temps-là, je vis également une très bonne expérience de consultant télé à Canal+, sur le championnat de France. Le projet de restaurant ne se fait pas finalement… Mon frère jouait à Frontignan, le président cherchait un coach et vient me chercher. Au début, je dis « hors de question », même si j’ai mes diplômes d’entraîneur (que j’avais passé comme ça). Ils insistent… je craque, j’y vais. Et j’y prends vraiment goût, il se passe un truc et je me sens bien.

« J’ai surtout essayé d’être l’entraîneur que j’aurais aimé avoir, de trouver l’équilibre entre se faire respecter tout en étant proche de ses joueurs »

Il y a des qualités pour être joueur… Lesquelles doit-on posséder pour être entraîneur ?

Je dis toujours, pour blaguer, que l’idéal devrait être de commencer par être entraîneur pour devenir ensuite un meilleur joueur ! Parce que lorsque tu es entraîneur, tu as une autre vision du basket. Pour répondre à la question, cela dépend des philosophies. Au départ, j’ai surtout essayé d’être l’entraîneur que j’aurais aimé avoir, de trouver l’équilibre entre se faire respecter tout en étant proche de ses joueurs. Et de ne surtout pas être un dictateur, comme j’en ai eu parfois, notamment des coachs d’ex-Yougoslavie qui te donnaient vraiment l’impression d’être à l’armée…

À qui pensez-vous ?

Bozidar Maljkovic, qui a été le plus grand coach d’Europe, et a gagné trois Euroligues avec trois clubs différents. Lui, ce n’était même pas bonjour le matin. Il n’y a aucune communication. T’es pas bon, tu dégages… Moi, je ne peux pas avancer comme ça. Donc je me suis dit que je ne serais jamais ce genre d’entraîneur. En même temps, il faut tout de même avoir une autorité et se faire respecter pour faire passer ses messages. Au fur et à mesure, il faut aussi savoir évoluer avec le basket et être capable de se remettre en question. Là, cela fait 17 ans que je suis sur un banc, donc il faut se mettre à la page et faire bouger sa vision du jeu. Et bosser, toujours !

Comment atterrissez-vous au Luxembourg, et plus précisément à Esch, en janvier 2010 ?

Je suis entraîneur à Longwy, qui joue en Nationale 1 à l’époque. Un des dirigeants d’Esch m’a contacté. On s’est rencontrés, on a discuté. Et il se passe tout de suite quelque chose. Moi, je fonctionne beaucoup comme ça, au feeling, à l’affect. Et à part les deux ans où je suis parti, depuis 2010, je suis ici.

Comment se passe l’acclimatation à la fois au pays et au basket luxembourgeois ?

Le pays c’est à côté, donc cela n’a pas été très compliqué. Au niveau du basket, il y a une phase d’adaptation, car je sors d’un championnat où tout le monde est professionnel et j’arrive ici où j’ai deux professionnels et où le reste de l’effectif bosse à côté. C’est une grande notion à prendre en compte. Quatre entraînements par semaine avec des mecs qui bossent la journée et qui arrivent pour s’entraîner le soir. Il faut aussi trouver l’équilibre entre les deux professionnels et les autres. Les deux professionnels doivent notamment être irréprochables par rapport aux autres qui se tapent des journées de fou… Pour le reste, j’ai vite été bien entouré, j’ai vite rencontré des gens. J’ai eu l’habitude de beaucoup bouger dans ma vie, donc l’acclimatation s’est faite naturellement.

Vous vous adaptez tellement bien qu’en 2013 vous prenez la sélection luxembourgeoise, pendant deux ans. Racontez-nous cette expérience.

J’ai évidemment été intéressé lorsque l’on m’a proposé de devenir sélectionneur national, c’est toujours une expérience intéressante. Même si le contexte est compliqué parce qu’à l’époque, on joue sur des matchs de qualifications contre des nations de première division… Disons qu’il n’y avait pas de groupes avant, de distinction de niveau. On joue l’Allemagne par exemple, qui a des joueurs qui évoluent en NBA dans son effectif, donc voilà. Malgré l’écart, c’est une bonne expérience pour moi de retrouver le haut niveau. Et même pour les joueurs, c’est intéressant d’en affronter d’autres de niveau mondial.

Pour rester sur la sélection, quel regard portez-vous sur son évolution ces dernières années et notamment le travail du head of basketball, Ken Diederich ?

Je suis très heureux de voir le chemin que l’équipe nationale a pris. De plus en plus de joueurs ont – ou ont eu – une expérience professionnelle, donc ça rend l’équipe plus forte. Et le travail de Ken est intéressant, ne serait-ce qu’à travers les résultats où le Luxembourg gagne de plus en plus de matchs, des matchs importants et pas faciles. Cette équipe est de plus en plus compétitive. Avec le plus qu’apporte Clancy Rugg, c’est un atout supplémentaire. Tout ça est en tout cas positif pour le basket luxembourgeois.

@Albert Krier

Vous revenez à Esch ensuite, après un court passage à Contern, d’abord pour vous occuper des équipes de jeunes et aider le club à se développer, puis de nouveau comme entraîneur principal. Vous vivez votre dixième saison sur ce banc. Comment définiriez-vous votre lien avec ce club ?

Le lien est très fort, ça dépasse largement la relation professionnelle. C’est devenu ma famille. Avec les dirigeants, avec les joueurs. Voilà.

Vous remportez votre premier titre avec Esch l’année dernière, en soulevant la Coupe en battant l’Arantia en finale. Qu’est-ce que cela représente pour vous à ce moment-là ? Comment vivez-vous ce moment ?

Je pense tout de suite à toutes ces années, aux dirigeants, aux personnes du comité, aux bénévoles, aux supporters. Et quand je vois des joueurs comme Pit, Joey, Alex, qui avaient 17 ans quand je suis arrivé… je suis content pour tous ces mecs-là, et heureux de vivre ça avec eux.

Venons-en à cette saison. À l’heure où l’on se parle, le Basket Esch a été finaliste de la Coupe et est qualifié pour les playoffs. Quels sont les principaux facteurs qui expliquent cette réussite et ces performances ?

Je suis un insatisfait né. Ce qui fait notre force, je pense, c’est que l’on est un vrai groupe, et c’est hyper important. Les joueurs se connaissent depuis des années. Le seul joueur majeur qui est arrivé cette année c’est Thomas (Grün) et il a une intelligence de jeu tellement développée qu’il s’est adapté très rapidement. L’autre paramètre qui explique notre réussite – et ça j’y tiens beaucoup – c’est l’aspect défensif de notre jeu. Si l’on veut aller loin, il faut avoir une bonne défense.

Alors justement, vous avez la meilleure défense du championnat. Quel est le secret ?

La première chose qui fait que tu as une bonne défense, c’est que tu as les joueurs pour le faire. Chez nous, déjà, on a le meilleur défenseur intérieur du pays, Alex Rodenbourg. Puis Jordan Hicks et Thomas Grün se détachent aussi dans ce secteur. Derrière, des mecs comme les frères Biever, ce sont des chiens sur le terrain, ils sont capables de se mettre minables pour l’équipe. Après c’est comme tout, quand tu as deux ou trois joueurs qui donnent le ton, derrière ça suit. On a l’équipe pour défendre. Et nos objectifs de début de match sont toujours des objectifs défensifs, de laisser l’équipe adverse à moins de 70 points, etc.

Pouvez-vous nous parler du meilleur joueur de votre équipe, Clancy Rugg, de son parcours, de son profil ? Comment définiriez-vous ce joueur si important à Esch ?

Pour être un bon joueur, il faut aussi avoir des qualités mentales… et lui, à ce niveau-là, il est impressionnant. Il va te sortir le match qu’il faut quand il faut. Le plus difficile dans le sport, c’est de durer ; lui, il le fait. La régularité est rare, c’est réservé aux très bons et il en fait partie. C’est en plus quelqu’un qui s’est super bien intégré au Luxembourg, qui parle la langue, qui a été naturalisé, qui joue maintenant pour la sélection nationale. Du côté de ses qualités basket, il a un shoot très fiable à quelques mètres du panier, il commence en plus à avoir un shoot à trois points intéressant. Sur la vitesse, sur les rebonds, il est présent. Il est ce que l’on appelle un joueur complet.

Plus globalement, comment caractériseriez-vous votre jeu ?

On essaye de trouver l’équilibre entre la défense et le reste. Pour résumer, notre philosophie, c’est défense et paniers rapides, contre-attaque.

On voit que la lutte est intense cette année en championnat. Quelles sont les équipes qui vous ont le plus impressionné jusqu’ici ?

Pour moi, on est quatre à se dégager, à pouvoir se disputer le titre, chacun avec ses qualités : Steinsel, Ettelbruck, Dudelange et nous. Il y a un petit gap derrière ensuite. Walferdange c’est compliqué depuis qu’ils ont perdu Kreps, leur meneur américain, Dean Gindt… Il faudra se méfier d’eux sur les playoffs s’ils récupèrent tout le monde. Le Sparta remonte également, il risque d’être compliqué à jouer. On l’oublie trop souvent, mais il a terminé premier de la phase régulière l’année dernière avec quasiment la même équipe. Les playoffs vont être hyper ouverts. On les craint tous, et en même temps on sait que l’on peut battre tout le monde.

Sur quoi va se jouer cette fin de saison ?

Ça va se jouer sur la capacité mentale des joueurs à aborder les événements sereinement et à développer leur basket. C’est l’équipe qui sera capable de jouer à son niveau jusqu’au bout, de garder le plus de justesse.

Vous avez un gros public à Esch, avec un vrai kop bien fourni, les Mighty Minetter. C’est forcément un plus pour vous ?

C’est énorme. Surtout qu’au Luxembourg, ce n’est pas partout, ce n’est pas général. Quand l’équipe commence à être un peu fatiguée mentalement, le public apporte quelque chose, ça rebooste. Nos supporters sont excellents. Ils se déplacent partout en plus, et on les remercie d’être présents.

L’histoire entre vous et le Basket Esch commence à durer… Vous voyez-vous encore longtemps ici ?

On parle de retraite en France en ce moment, c’est censé être quand déjà ? Non, je ne sais pas… Je ne fonctionne pas sur de longues prédictions. J’espère être encore là un moment. Tant que je prends du plaisir, tant que l’on veut bien bosser avec moi, je continuerai. Maintenant, il faut que l’on arrive à attraper le titre. C’est l’objectif qui viendra récompenser ce groupe avec qui je suis depuis toutes ces années. On veut y goûter ensemble, ce serait beau.

Propos recueillis par François Pradayrol

Dernières nouvelles