Camille Schmit, le triomphe modeste

Une vingtaine de titres de champion du Luxembourg. Des médailles aux Jeux des petits États. Deux Jeux olympiques. Et évidemment, une finale olympique. Tout ça, c’est Camille Schmit, coureur et entraîneur depuis des décennies, qui s’est forgé un des plus grands palmarès de l’histoire du sport luxembourgeois.

La médiatisation du sport fait que depuis toujours, les athlètes sont dans la lumière. Une éternelle hiérarchisation de l’ombre et de la lumière, pas nécessairement propre au monde du sport. Ainsi, dans la diaspora du cinéma, les acteurs sont toujours au premier plan, loin devant les réalisateurs, scénaristes ou autres directeurs de la photographie. Une place dans l’ombre qui pourrait en user certains. Pas Camille Schmit. Car derrière un pedigree tout simplement prodigieux et des décennies de succès dans le monde de l’athlétisme, l’entraîneur n’est pas de ceux qui recherchent la lumière. Le temps d’une rencontre, il nous a cependant permis de remonter le temps avec lui et de revenir sur un parcours qui l’aura mené jusqu’à une historique finale olympique.

Pourtant, le coach n’a pas toujours baigné dans cette discipline. Comme de nombreux autres, il a débuté son aventure sportive avec le ballon rond. « Comme beaucoup, j’ai d’abord été joueur de foot. J’ai commencé vers 10 ans et j’ai continué jusqu’à 26 ans. J’ai joué huit années en équipe première à Weimerskirch, qui à l’époque jouait en Promotion d’Honneur ou Première Division. » Ainsi, c’est sur les pelouses que Schmit démontre ses talents, avant un arrêt de carrière à un âge assez prématuré. « J’ai décidé d’arrêter car j’ai senti que je n’avais plus l’envie. On avait une équipe qui avait les capacités de mieux jouer, mais sans nécessairement la motivation de le faire. J’ai alors eu une discussion avec mon entraîneur, et j’ai pris la décision de stopper. » Une fin de carrière sur les terrains qui va pourtant se prolonger par la suite, avec un retour sur le banc de touche cette fois-ci, aux alentours de la quarantaine. « J’aidais l’entraîneur principal à entraîner les jeunes. J’appréciais cela, mais ce n’était pas mon premier objectif. Mes deux fils jouaient au foot à l’Avenir Beggen, et on m’a proposé de venir un peu aider. J’ai donc été dix ans entraîneur de l’équipe jeunes jusqu’aux juniors, jusqu’à faire une pige en tant qu’entraîneur adjoint, en 2007. »

« J’ai toujours fait du sport pour être parmi les meilleurs »

Pourtant, selon ses dires, son caractère n’était pas nécessairement adapté à l’entraînement d’une équipe première. « J’aimais beaucoup entraîner les jeunes, mais c’était plus compliqué en équipe première. Je n’étais pas assez dur. » Une autocritique assez sévère, mais qui va aboutir, encore une fois, à un arrêt dans un monde dans lequel il n’estime pas pouvoir apporter le maximum. « Avec peu de résultats, ils ont mis l’entraîneur principal dehors. Ils m’ont proposé de continuer avec un nouvel entraîneur, puisque j’avais été clair sur le fait que je ne voulais pas être numéro 1. J’ai alors pris la décision de partir. J’ai terminé la saison chez les jeunes, et le COSL m’a alors proposé de les rejoindre. C’est comme ça que cela a débuté. » 

Si sa carrière d’entraîneur de course à pied débute à ce moment-là, il serait faux de dire que Schmit débarque dans un monde inconnu. Celui qui est aujourd’hui le coach de Charline Mathias, Vivien Henz ou encore Charel Grethen s’est en effet découvert une passion pour la course au crépuscule de sa carrière de footballeur. « J’aimais bien courir, et depuis deux ans, j’étais parfois le week-end avec des gens qui faisaient de l’athlétisme en forêt. » Alors, très vite, Camille Schmit remplace le football par la course, avec une grande régularité. Et, comme toujours, il recherche les meilleurs résultats. « J’ai toujours fait du sport pour faire partie des meilleurs. » Si le désir d’atteindre les sommets est là, la période d’adaptation se fait elle aussi sentir. « La transition vers l’athlétisme n’a pas été si rapide. Je pensais sincèrement que cela allait être plus facile (rires) ! Au foot, on s’entraînait deux à trois fois par semaine et cela suffisait. En athlétisme, si tu veux côtoyer les meilleurs, il faut s’entraîner cinq à six fois par semaine. » Alors le coureur enfile le bleu de chauffe et très vite, il fait preuve d’un talent et d’une discipline lui permettant d’entrer dans la postérité. Jugez par vous-même : une vingtaine de titres de champion du Luxembourg. Des participations aux Jeux des petits États en 1987 à Monaco et 1 989 à Chypre, respectivement auréolées d’une médaille de bronze et d’argent. Et puis, aujourd’hui encore, le deuxième meilleur temps luxembourgeois de l’histoire derrière un certain

Justin Gloden. « Justin, cela a toujours été difficile d’être devant lui durant ma carrière (rires) ! », se rappelle-t-il encore aujourd’hui, hilare.

Avec une pelletée de trophées derrière lui, Schmit prend alors la décision d’arrêter à 40 ans, après le marathon d’Echternach, et retourne donc au monde du football. Après avoir mis fin à cette parenthèse dans les vestiaires, l’entraîneur rejoint le COSL, et il prend vite goût à ce rôle d’entraîneur au sein d’un sport différent du football. « En foot, il faut tout le temps cadrer, et cela n’était pas nécessairement mon caractère. En athlétisme, c’est autre chose : si tu n’as pas envie, alors ta progression sera énormément limitée. Sans travail, tu ne t’en sortiras pas, c’est aussi simple que ça. » Autre différence entre le football et l’athlétisme : le premier est un sport collectif, ce qui implique nécessairement une manière de gérer différente. « Au foot, comme dans beaucoup de sports collectifs, on peut toujours rejeter la faute ailleurs. Dans un vestiaire, seulement deux ou trois joueurs assumaient leurs ratés. Les autres allaient dire que c’était la faute d’untel ou d’untel… Et enfin, il y a moins de choses à préparer en individuel. Tu n’as pas à gérer ceux qui ont moins envie que les autres. » 

Entre ses débuts en tant qu’entraîneur et une finale olympique à Tokyo, le chemin a forcément été long. Si on lui demande s’il aurait un jour pu imaginer, au moment de débuter, participer un jour aux J.O., l’entraîneur est catégorique : « Je n’aurais jamais pensé aller aux Jeux olympiques (rires) ! C’est Charline qui avait cet objectif dès très jeune ! Pour moi, c’était loin. Quand on a réussi à atteindre les Championnats d’Europe, on a commencé à envisager les olympiades, même s’il restait énormément de boulot. Mais m’imaginer aux J.O., non. Bien sûr on en rêve, mais avoir un de mes athlètes en finale olympique, ça, c’était quand même assez loin (rires) ! »

Et pourtant, ce rêve s’est réalisé. Deux fois : la grande première à Rio en 2016, avec Charline Mathias en protégée. Et une seconde fois à Tokyo, lors d’une compétition qui restera à jamais dans la mémoire collective luxembourgeoise. De ces deux événements majeurs, lequel lui laisse le plus de souvenirs inoubliables ? « Les premiers Jeux olympiques demeurent une découverte exceptionnelle. Le village olympique, la rencontre de tout le monde. Tokyo, j’étais déjà plus habitué (rires), même si cela demeure impressionnant ! Et le fait de ne pas avoir eu de spectateurs a été d’une certaine manière décevant. » Une déception évidemment vite estompée par la performance historique de Charel Grethen, qui se hissera jusqu’en finale olympique, s’offrant par là une place définitive dans l’histoire du sport au Grand-Duché. 

Devant un tel exploit, on se doit évidemment de poser la question. Pour un entraîneur ayant coaché un nombre très élevé d’athlètes, tous de niveaux différents, la plus grande performance est-elle forcément la plus grande fierté ? « C’est une question difficile. Bien sûr, c’est la performance que l’on recherche, donc c’est forcément une fierté. Mais si je repense à Tokyo, c’était imprévisible. Sur le moment, je ne me suis pas rendu compte de ce qui avait été réalisé. Voir que Charel est aujourd’hui dans les 12-15 meilleurs au monde, ça, c’est extraordinaire. Mais je ne suis pas souvent fier de moi. » Interrogé sur ses qualités, on assiste presque amusés à une personne en face qui, soudainement, cherche ses mots. Il ne fait alors aucun doute que notre interlocuteur n’est pas de ceux qui s’autocomplimentent et qu’il préfère, en bien des aspects, fonctionner dans l’ombre. Relancé, Schmit finit enfin, à demi-mot, par nous dire une ou deux choses qui, en faisant une autocritique, le rendent heureux. « Dire que je suis talentueux, c’est compliqué. Ce que je dirais, c’est que je suis content de moi et de ma capacité à apprendre, encore, toujours. » On s’en satisfera.

Si l’entraîneur fait preuve d’un talent pour la pirouette indéniable au moment de dresser ses propres louanges, il se fait plus loquace quand il faut définir ce qui, selon lui, fait un bon entraîneur. « Pour être un bon entraîneur, je pense que c’est un vrai avantage d’avoir pratiqué ce sport soi-même, car on comprend mieux. Il faut aussi avoir les compétences. En foot, j’ai l’UEFA, et en athlétisme, j’ai passé beaucoup de diplômes. Cela permet aussi de rencontrer des gens et d’apprendre d’eux. Il faut lire, étudier, voir à gauche et à droite, et en retirer ce qui nous paraît le plus pertinent. J’aime beaucoup échanger avec d’autres entraîneurs, assister à des entraînements. Il y a un vrai processus d’étude. Il faut tout le temps rester curieux. »

Présent sur les pistes depuis des décennies, comment évalue-t-il l’évolution de la discipline au fil des années ? « Les fondamentaux restent à peu près les mêmes. C’est plus le volume de travail qui a réellement évolué. Avant, un coureur de 1500 faisait peut-être 100 kilomètres par semaine. Aujourd’hui, avec Charel, on est à 140, voire 145. On voit ici des coureurs de 1 500 qui sont aussi assez bons sur 3 et 5 K. Avec les temps qui sont courus aujourd’hui, il faut être encore plus fort qu’auparavant. C’est aussi grâce à cette augmentation de volume que l’on peut faire plus d’entraînements durs par semaine. » Et sur le plan du Grand-Duché ? Y a-t-il, là aussi, une évolution notable ? « On a depuis des années le LIHPS qui nous aide énormément. Depuis un certain temps, on y fait de la musculation, il y a aussi un kiné sur place qui aide pour les quelques pépins physiques. Nous avons des structures dont on peut aujourd’hui profiter . Au début, c’était plus compliqué. On ne pouvait pas aller dans tel endroit tel jour, etc. Quand tu as un athlète d’un certain niveau, tu ne peux pas tout planifier. Et aujourd’hui, on voit que l’on peut aller où l’on veut. Il y a eu une vraie amélioration en termes de disponibilité. » Une amélioration là aussi visible sur le plan pécuniaire. « Le soutien financier a évidemment beaucoup évolué », confirme-t-il. « Je vois maintenant que le COSL est capable de réellement soutenir ses athlètes. Quelqu’un comme Charel voit tous ses frais de la saison couverts. »

Une amélioration des conditions d’entraînement. Un apprentissage constant, que ce soit par les diplômes ou la rencontre de confrères. Un soutien des institutions. Et des relations de longue durée avec ses athlètes, qui lui font dire – enfin ! – qu’il fait peut-être du bon travail. « C’est vrai que je pense que mes athlètes sont satisfaits de travailler avec moi. On échange beaucoup, on ressent vraiment le sentiment d’équipe. Charel, ça fait quinze ans que je suis avec lui. Je dis tout le temps à tous mes athlètes, quel que soit leur niveau, que si à un moment ils estiment que cela ne fonctionne pas, ils n’ont qu’à me le dire, on arrêtera, et j’essayerai de leur trouver une autre solution. » Tous ces ingrédients ont permis de connaître des stades pleins, des courses endiablées et de créer des souvenirs à jamais. 

Mais l’athlète Schmit prend-il parfois le pas sur l’entraîneur ? Y a-t-il un sentiment de frustration à voir ses poulains dévaler dans des stades immenses, au sein d’une ambiance folle ? « C’est sûr, quand je vois certains de mes athlètes dans de grandes compétitions, ça fait mal de se dire que je n’ai pas eu la chance, ou les moyens, de vivre ça. Pouvoir faire des courses comme ont pu en faire Charel ou Charline, ça doit être quelque chose… » Mais pour un homme qui s’en demande toujours énormément, la réalité du temps chasse vite ces pensées. « Pour dire vrai, je ne cours plus. J’ai continué un peu, parfois sur mes anciens parcours, mais quand après une heure, je n’ai même pas encore fait la moitié… Cela ne fait plus trop plaisir de voir que l’on n’avance pas (rires) ! Je préfère prendre le vélo aujourd’hui. »

Après des années à sacrifier temps et labeur dans le but d’exploiter le potentiel de ses coureurs, la question – logique – d’une mise en retrait se doit d’être posée. Une performance aussi historique qu’une finale olympique peut, en bien des points, être l’apothéose d’une carrière. Ce qui nous a poussés à demander au coach s’il n’avait pas envisagé de s’arrêter sur cet exploit historique. « Après les Jeux, c’est vrai que j’ai pensé un moment à m’arrêter. Mais Charel a encore Paris 2024 comme objectif, donc je ne pouvais pas stopper. On va donc aller jusqu’à Paris 2024, et après… on verra (rires) ! » 

Camille Schmit, réservé, généralement peu à l’aise au moment de se flatter, aura tout de même su admettre qu’il avait toujours aspiré à être le meilleur. Et, après un long entretien avec lui, une autre vérité nous parvient, naturellement, à l’image de cette potentielle ouverture après 2024 : être parmi les meilleurs, oui, mais surtout le plus longtemps possible.

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