The Whale : notre critique en avant-première

Un des films les plus attendus de 2023, « The Whale » était projeté hier en avant-première au cinéma Utopia. L’occasion pour nous de découvrir le nouveau long-métrage de Darren Aronofsky. Deux heures plus tard, et malgré une grande excitation, le constat semble évident : non, « The Whale » n’est pas à la hauteur de nos espérances, malgré certaines qualités évidentes.

The Whale, de Darren Aronofsky : ★★☆☆☆

Six ans. Voilà le temps passé entre la sortie de The Whale, et le dernier film du réalisateur Darren Aronofsky, « Mother ». Un précédent long métrage qui n’avait pas emballé les critiques – à juste titre – mais qui ne saurait remettre en question le pedigree impressionnant du cinéaste américain. Pi, Requiem for a Dream, The Wrestler, ou encore Black Swan : il n’est pas outrancier de dire que dans le 21e siècle, Aronofsky a offert, à de nombreuses reprises, des films mémorables qui, s’ils ont pu diviser par moments, ne laissaient personne insensibles. L’ancien étudiant d’Harvard, de par sa filmographie n’a jamais hésité à appuyer à fond, avec plus (Requiem for a Dream, Pi, The Fountain, Black Swan) ou moins (Mother, Noé) de succès dans le rendu final. Et la lecture du synopsis promettait un film capable de prendre aux tripes, entre un scénario écrit par Hunter – auteur de la pièce de théâtre adaptée ici – et une réalisation souvent extrême d’Aronofsky. Hélas, après les deux heures du film, le constat est implacable : bien que maîtrisé, policé, The Whale passe à côté et ne peut être considéré ni mémorable, choquant ou brillant. 

Quand l’empathie rencontre le voyeurisme

Le scénario traite de Charlie, homme à l’obésité morbide, ravagé par la vie, proche de la fin, qui essaie de renouer des liens avec sa fille, plus vue depuis une dizaine d’années. Et tente, malgré une décennie de douleur, traumatisme et abandon, de rappeler à cette adolescente troublée sa beauté, tant intérieure qu’extérieure. Durant deux heures, au sein d’un appartement délabré, au frigo rempli de fast-food, les deux interlocuteurs essaient de reconstruire une relation brisée, tout en gérant certains autres visiteurs qui ont, pour des raisons parfois bancales, décidé de venir tous les jours dans cet appartement. Commence alors de nombreux échanges, parfois poétiques, mais souvent ratés, le tout sur fond d’une soi disante compréhension de l’obésité.

Hélas « The Whale » échoue dans ce qui semblait pourtant être son plus grand objectif : susciter l’empathie pour un personnage plongé dans une addiction inarrêtable de par un passé en tout point traumatique. Dans le but d’humaniser, et de faire comprendre aux spectateurs le quotidien d’un homme d’une obésité morbide, Aronofsky n’hésite pas à déployer un certain nombre de scènes cruellement réalistes sur la vie d’une personne au poids presqu’irréel. Problème ? L’empathie n’est pas la première émotion qui vient à nous, mais plutôt le soulagement de ne pas être cet homme, et, c’est bien là la catastrophe, un léger sentiment de dégout. Crise émotionnelle qui amène à une consommation frénétique de nourriture, incapacité de se baisser pour ramasser une clé, difficultés à respirer, ou étouffement : les situations se succèdent, créant non pas compassion mais plutôt une forme de voyeurisme morbide. La compréhension des mécanismes amenant à un surpoids mortel passe alors au second plan au profit d’une fascination malsaine pour ce qui, sur le plan physique, s’apparente plus à une bête de zoo qu’un humain complexe et brisé.

Une adaptation cinématographique sans plus value

Ce parti pris, manquant clairement d’une finesse pourtant capitale au moment d’aborder un tel sujet ne se retrouve pas qu’envers le héros de la soirée, mais aussi sur la foule de personnages secondaires. Que cela soit sa fille (interprétée par Sadie Sink, impeccable dans Stranger Things mais qui surjoue ici chaque scène ), son infirmière (meilleur personnage du film) ou encore le missionnaire, les actions, réactions et propos de chacun sont trop lourds, trop extrêmes pour donner une forme de réalisme aux interactions. Les conflits intérieurs de chaque personne, représentés à l’écran par des cris ou larmes sont alors tamponnés sur le spectateur, qui n’a alors pas le choix d’essayer de comprendre les douleurs tacites propres à chacun puisqu’on les lui gave avec la même intensité que Fraser engloutit les barres chocolatées et autres sucreries. Une absence d’élégance qui se retrouve parfaitement symbolisée par l’interaction entre le héros et un mystérieux vendeur de pizzas qui n’a jamais vu son visage. Alors que les dialogues entre les deux, plutôt savoureux durant les deux premiers tiers du film apportent une touche de nuance bienvenue, l’épilogue de leur relation plonge, à nouveau, dans la surenchère qui enlève toute subtilité à l’oeuvre.

Autre échec du film : donner une plus-value à l’adaptation d’une pièce de théâtre. Si la décision d’offrir un huis-clos se comprend aisément, l’absence totale de risques ou novations dans la cinématographie et autres plans de caméras donnent rapidement le sentiment d’assister à une pièce de théâtre simplement filmée. Ni plan-séquences, ni travellings, ni autres gimmicks ne sont ainsi présents pour expliquer la justification du passage de la scène au septième art. Si on ne peut évidemment pas parler d’une adaptation ratée, il y a là bien trop peu (hormis la décision de filmer en 4:3), en particulier pour un réalisateur connu pour sa prise de risques et ses choix techniques affirmés. Une absence de réflexion sur le besoin de changer certains mécanismes qui se retrouvent jusque dans le scénario. Samuel D.Hunter, auteur de la pièce de théâtre et scénariste du film, semble avoir sous-estimé la différence criante entre les deux médiums, et donne alors la sensation que les acteurs ne jouent pas devant une caméra, mais plutôt sur une scène. Darren Aronofsky, au fil des années, s’était forgé la réputation d’un réalisateur de l’extrême, capable de prendre des risques, quitte à perdre au passage certains spectateurs. Or, il n’en est rien dans ce film qui ne réussit pas à surprendre, choquer, ou interroger sur l’obésité, l’amour, ou les relations familiales. Et finit par nous faire sortir de la salle avec une simple réflexion : « Heureusement que je ne suis pas obèse ». Largement insuffisant au vu de l’objectif proclamé du réalisateur d’humaniser et sensibiliser sur l’obésité qui n’est autre qu’une addiction, au même titre que la drogue, l’alcool ou le sexe. Et on ne pourra que comparer le traitement effectué ici à celui de Requiem for a Dream qui, violent, viscéral, avait le mérite de nous faire quitter la salle de cinéma les tripes retournées. Un sentiment bien loin de celui ressenti hier, où le quotidien de la vie a bien vite repris les devants d’un film non pas mauvais, mais très vite oublié. 

Brendan Fraser époustouflant 

Malgré ces nombreux défauts, « The Whale » n’est pas néanmoins exempt de certaines véritables réussites. Certains dialogues, alternant entre le comique et le drame peuvent faire mouche. Et la dissertation, lu durant la quasi intégralité du film par le protagoniste prend tout son sens dans les dernières minutes du film, par le biais d’un twist bien amené. Et, évidemment en point d’orgue, la performance tout simplement prodigieuse de Brendan Fraser, qui justifie aisément le buzz pré-oscar qui l’entoure. L’acteur rayonne durant l’intégralité du film, et ce sur l’ensemble de la palette d’émotions que le personnage ressent durant le film. Entre amour, tendresse, douleur, regrets et peur de la fin proche, Fraser offre une composition digne d’une Masterclass, et porte à lui tout seul un film qui, et c’est bien là le paradoxe, manque cruellement d’émotions, à force de vouloir l’imposer aux spectateurs. Une performance absolument spectaculaire qui pourrait alors conférer à l’acteur un honneur assez rare : remporter un Oscar – absolument mérité – dans un film qui, lui, passe à côté de son objectif.

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