La jeunesse luxembourgeoise dans le bain de la joute oratoire

Hier, au Lycée Lenster de Junglinster a eu lieu une joute oratoire organisée par Eloquentia, programme éducatif né en 2012 et développé par Stéphane de Freitas. L’occasion pour des élèves provenant de six établissements différents du Grand-Duché de s’exprimer sur pléthore de sujets complexes devant un parterre d’invités. Retour sur cette première, qui aspire à gagner en récurrence dans le futur.

« Fuir est-il courageux ? » Rassurez-vous. Vous n’êtes pas en train de vivre des flashbacks de votre épreuve de philosophie au Baccalauréat. Non, cette question, sur laquelle nous pourrions débattre des heures et des heures est un des sujets choisis par les sept candidats finaux lors de la première joute oratoire organisée au Lycée Lenster à Junglinster. Pas une mince affaire, qui plus est devant Claire Lignières-Counathe, ambassadrice de France au Grand-Duché. 

La preuve, s’il en fallait une, qu’au-delà de l’exercice toujours complexe de la prise de parole en public, les thématiques abordées, elles aussi, sont tout aussi périlleuses. Et, pendant près d’une heure, les intervenants se succèdent sur différents sujets, tels que « L’égalité est-elle une utopie ? », ou encore « L’échec est-il positif ? ». Des volontaires, prêts à assumer la réflexion adulte sous le prisme de l’amélioration de soi. Un sacré chantier, qui trouve ses racines dans la méthodologie d’« Eloquentia », programme destiné à développer les capacités naturelles de chacun.

Une amélioration personnelle sur tous les fronts

Quelle est la genèse de cette première joute oratoire au pays ? Maxime Dafri, Directeur de l’Institut Français du Luxembourg, revient sur sa modélisation. « C’est un projet qu’on avait prévu initialement pendant le mois de la Francophonie dans lequel la thématique était l’oralité. Cela rentrait donc parfaitement dans ce domaine. On n’a malheureusement pas pu le faire dû à un programme déjà chargé. On a donc organisé ces ateliers sur la fin de l’année, en partenariat avec l’IFEN (Institut de Formation de l’Education Nationale). L’idée, c’est d’apporter quelque chose de nouveaux aux élèves et leur permettre plusieurs avancées ».

Et force est de constater que pour une première, la réception a été plus que positive. Ils sont six établissements à travers le Grand-Duché, de Diekirch à Differdange en passant par Esch, à avoir répondu présents. De quoi encourager Maxime Dafri à voir sur le long terme une potentielle récurrence de l’exercice. « Il va falloir qu’on se pose tous ensemble pour réfléchir à comment mettre en place un évènement qui se renouvelle plus régulièrement. Il y a plusieurs pistes à développer, notamment de voir si ces quinze heures de formation peuvent s’inscrire sur plus qu’une semaine ».

Sous la houlette d’Eloquentia, crée et développé par Stéphane de Freitas, le projet « Porter sa voie » a pour but de former et préparer les élèves à l’exercice toujours complexe de la matérialisation de leurs idées et pensées avec leur voix. Quels sont les bénéfices dans l’ensemble de tout ceci ? « La prise de parole en public et l’art oratoire vont chercher un grand nombre de compétences » débute Dafri, avant de poursuivre. « On travaille la confiance en soi, l’expression scénique, la posture, la voix… Tout un éventail de capacités qui seront forcément très utiles dans le futur. »

Pierre N’Diaye, généralement surnommé « Louny » par tous ses amis, formateur au sein d’Eloquentia – même s’il préfère le terme animateur pédagogique – abonde en ce sens. « Au-delà du courage qu’il faut pour s’exprimer devant grand nombre, ces exercices permettent aussi de gagner en consistance personnelle, force de conviction et envie de partager. Il ne faut pas oublier que la prise de parole en public est importante comme compétence dans la société mais aussi dans les relations professionnelles. Cela consiste donc à transmettre cette envie d’assumer ses idées et les offrir au monde ».

Un projet qui ne se limite pas qu’aux lycéens

Pour permettre aux participants de progresser, le travail est axé sur cinq axes : la rhétorique classique, l’introspection et orientation professionnelle, l’expression scénique, le slam ou la poésie pour le côté artistique et, enfin, la technique vocale et respiratoire. Une large gamme de points à renforcer pour offrir plus d’aise aux adolescents au moment de s’exprimer en public.

Si toutes ces compétences de l’ordre de l’amélioration générale sont précieuses, il y en a une autre, qui n’était pas forcément attendue, qui a fait son apparition : une réelle progression dans la langue de Molière pour les élèves provenant des six établissements différents. « On fait d’une pierre deux coups » confirme le directeur de l’Institut Français. « On s’est rendu compte au Luxembourg que lors de cette semaine, les élèves participants ont notablement amélioré leur niveau de français ». Une plus-value plus que bienvenue dans un pays où le plurilinguisme est, plus que jamais, un atout essentiel du Grand-Duché.

Si l’accent est évidemment mis sur les lycéens, présents lors de cette joute oratoire, « Louny »tient à rappeler que ces formations ne se limitent pas qu’aux adolescents. « Notre cible est au final fort variée. On peut traiter avec des lycéens, collégiens, écoliers, voire même des détenus de prison ou des personnes qui en sortent et qui sont en recherche de réinsertion ». Un spectre large, donc, et qui amène forcément ses défis en fonction de l’élève enseigné. « Ce que je perçois, c’est que souvent, les collégiens en 6e et 5e sont des publics un peu plus difficiles. C’est alors à nous de cadrer et structurer le tout avec une approche s’équilibrant entre le ludique et le scolaire. »

Et l’animateur pédagogique de poursuivre, en dévoilant quel public, selon lui, est généralement le plus réceptif. « Les détenus ont l’avantage d’être plus âgés, matures et posés. Ils sont très bienveillant les uns envers les autres. Ils peuvent avoir un niveau scolaire plus bas mais on aura plus de références culturelles communes, par exemple. Et surtout, ils voient clairement tout ce que ceci peut les apporter, que cela soit pour leurs futurs employeurs ou les prospects du futur. Cela leur apprend aussi à utiliser le langage à la place de la violence ».

Mais en cette fin de journée, ce sont bien des lycéens qui se frottent à l’exercice. Et les sept participants assument leurs positions, par le biais de textes bien tranchés, alternant entre humour, opinions assumées, critique lucide de leur position de privilégiés en tant que luxembourgeois, et questions sur le futur de notre monde (avec notamment le débat croustillant « Nos relations sont-elles vouées à devenir virtuelles ? »).  Avec des prises de parole oscillant entre cinq et dix minutes, les propos assénés font réfléchir, surprennent parfois par leur virulence, et n’évitent aucun sujet (le conflit israélo-palestinen étant même abordé à un moment). Si chaque thématique voit une personne défendre la thèse et une autre l’infirmer, on revient alors, au moment de quitter la scène, sur ce fameux premier sujet : « Fuir est-il courageux ? ». Les deux intervenants ont chacun donné de solides arguments qu’ils acquiescent ou non sur la question. Pour nous, pas de réponse. Si ce n’est une autre, au vu de cette heure à laquelle nous avons assisté : si nous ne sommes pas capables de savoir si la fuite peut être un acte de bravoure, de courage, ces sept participants, eux, n’en ont absolument jamais manqué.

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